Le cabinet d’intelligence économique et de conseil Oxford Business Group a rendu public hier, lors d’une conférence de presse, son rapport économique pour l’année 2016, intitulé « Potentiel de développement économique de la Tunisie : des opportunités au delà des obstacles ».
Dans ce cadre, Fadhel Abdelkefi, directeur général de l’intermédiaire en Bourse Tunisie Valeurs a présenté la situation actuelle de l’économie tunisienne avec un regard pessimiste.
Le budget de l’Etat est passé, en cinq ans, de 18 milliards de dinars à environ 30 milliards de dinars, sans qu’il y ait amélioration de l’économie, mais bien au contraire. Cela a créé, selon M. Abdelkefi, de manière inévitable des déséquilibres macroéconomiques.
A cet égard, notre interlocuteur a estimé qu’il faudrait opter pour plusieurs réformes de manière rapide et simple, ainsi que pour des mesures d’austérité. Pourtant, la Tunisie est actuellement en phase de non – réforme rapide, face à une réforme d’un code d’investissement qui a duré plusieurs années, de la non-exécution effective de la loi de partenariat public-privé ( PPP) , et une réforme du secteur bancaire tunisien qui a fait appel de nouveau au contribuable tunisien…
Eu égard à ce ralentissement, il s’agit d’opter pour un nouveau code d’investissement qui ne devrait pas dépasser quelques pages, ayant comme référence les pays comparables à la Tunisie et benchmarkés par rapport à notre Région, comme le Maroc, l’Egypte, l’Europe de sud, les pays de l’Est…
Il faudrait également garder une seule banque publique, soit la BNA, et ce, en lui donnant sa vraie vocation agricole, parce qu’actuellement, seulement 12% des dépôts de ladite banque servent le secteur agricole, pour un pays considéré comme purement agricole.
Ainsi, une politique d’austérité devrait être appliquée, face à des caisses nationales de sécurité sociale qui dérapent et une privatisation qui reste taboue pour certains, malgré le fait qu’elle constitue un énorme fardeau pour l’économie nationale en général, et le budget de l’Etat en particulier.
Et pour preuve, la Tunisie a privatisé, auparavant, son secteur du ciment parce que les autorités ont été extrêmement regardantes sur le coût social.
Toutefois, Fadhel Abdelkefi n’adhère pas totalement à l’optimisme de certains, vu que les choses ne vont pas aussi bien qu’on le croit. Loin de là, le pays est, selon ses propos, en retard au niveau de la relance.
Ce retard exige des réformes rapides et claires plutôt que des décrets d’application qui demandent des années pour être publiés et mis en œuvre, et des lois incompréhensibles, élaborées en langue arabe, et nécessitant un expert en économie pour les comprendre.
Ce retard exige, de même, des mesures d’austérité, afin de résoudre les problèmes du budget de l’Etat, de la dette publique, des caisses de sécurité, des entreprises publiques… Néanmoins, avec des « réformettes » et des politiques budgétaires expansionnistes, sous le socle général du coût social, des syndicats, des partis politique et du populisme, le budget de l’Etat sera, de toutes les manières, de plus en plus insoutenable.
Pour ce faire, et par rapport à ce qu’on a vu sur les cinq dernières années, M. Abdelkefi a affirmé qu’il faudrait commencer, tout d’abord, à tenir un discours de vérité au peuple tunisien. Parce que lorsqu’un Etat augmente son budget et concomitamment perd ses revenus des secteurs du phosphate et du tourisme, et quand ses entreprises vont beaucoup plus mal, le creusement du déficit est un corollaire. Ainsi, les dettes risquent de passer de presque 60% du PIB actuellement à 80% en fin de l’année en cours.
Comment attirer les investisseurs institutionnels?
Toujours avec un regard pessimiste, Fadhel Abdelkefi a précisé que la Bourse de Tunis, et le marché financier en général, continuent à être dirigés d’une manière qu’il juge étourdie. Aucune volonté politique réelle n’a été, selon lui, annoncée pour développer les marchés des capitaux et attirer les investisseurs institutionnels, face à un plus vieux marché arabe qui ne joue pas de rôle important dans l’économie nationale, avec une contribution de seulement 7%.
S’ajoute à cela que les sociétés actives dans les secteurs entiers et extrêmement stratégiques ne sont pas représentées en Bourse, notamment les télécoms, le tourisme, l’immobilier, l’agriculture, etc.
Ainsi, depuis une quinzaine d’années, la Tunisie n’a pas de vrais investisseurs institutionnels, notamment locaux, parce qu’ils investissent dans les bons du Trésor public de l’immobilier, car la Bourse de Tunis n’est qu’un actif risqué pour eux. Ce qui a imposé l’ouverture d’un dialogue très sérieux avec la Caisse des dépôts et de consignation ( CDC ), qui a été conclu par la création des premiers fonds institutionnels tunisiens, visant à stabiliser la demande sur le marché financier tunisien.
Dans le même sillage, le responsable a fait savoir que le seul institutionnel sur le marché tunisien, dont on doit parler, est l’investisseur étranger. Et pourtant, la Tunisie est le dernier marché arabe et africain à être fermé aux investisseurs étrangers, et ce, au nom des clichés qui ne voient que des spéculateurs. Au moment où nous n’avons pas de vrais spéculateurs en Tunisie, parce que le marché est d’ores et déjà protégé par son système fiscal qui impose à toute personne qui investit en Tunisie et ne détient pas ses titres depuis au moins deux ans, un taux d’imposition fiscale de l’ordre de 35%.
Par conséquent, il faudrait qu’on commence à considérer que dans ce pays, on n’a pas besoin de lois pour faire avancer les choses basiques, dixit l’intéressé.
Du côté des partenaires étrangers, M. Abdelkefi a considéré que la Tunisie n’a pas été traitée convenablement par ses partenaires. Au contraire, ils l’ont traitée comme si c’était un pays qui vivait dans la normalité, surtout après la réussite de la transition politique qui s’est faite sans bain de sang. Cette manière ne reflète que l’aveuglement de leurs parts, parce que la Tunisie est à quelques kilomètres de leurs frontières et que Daech est à 400 kilomètres de la Tunisie.
Face à ce constat, il semble que les gens ne s’aperçoivent pas de ce qui se passe actuellement en Tunisie d’un point de vue socioéconomique. Il faudrait donc ne pas trop croire aux miracles, sinon les retraites, à titre d’exemple, ne seraient pas payées et la seule solution possible, qu’on le veuille ou pas, serait d’augmenter les cotisations, diminuer les prestations et augmenter l’âge de départ à la retraite.
Nouvelle loi bancaire
En réaction au projet de la loi relative aux banques et établissements financiers, M. Abdelkefi a affirmé qu’il s’agit d’une bonne loi, parce qu’elle s’est rapprochée un peu des meilleurs pratiques du monde.
Dans ce sens, cette nouvelle loi bancaire est plus au moins à la carte au niveau de la proposition de diversités de modèle des banques, soit des banques d’affaires, commerciales, universelles, etc.
Au niveau de la gouvernance, il y a eu, dans cette loi, un renforcement et un rapprochement des principaux critères de bonne conduite dans le monde, notamment les critères de Bâle 2 et Bâle 3.
Même au niveau de l’obtention des agréments et du fonctionnement de régulateur par rapport aux banques, beaucoup de travail a été fait pour revoir et améliorer les règlementations.
Néanmoins, la même loi propose d’exercer, au sein des banques, des services d’intermédiation en bourse. M. Abdelkefi a souligné, à cet effet, qu’il est tout à fait contre cette proposition vu qu’elle pose un problème règlementaire, face d’une part à un intermédiaire en Bourse qui relève du CMF et une banque qui relève de la BCT et une loi qui sépare totalement ces deux activités d’autre part.