Est-il si utopique de réformer en Tunisie, même après une «révolution» ! ? Car il semble que ce fût une révolution, puisque quelques «murailles» étaient abattues et certaines autorités écartées !
Un soulèvement qui est considéré par certains, après cinq ans de déconvenues, comme responsable de tous les maux de la Tunisie, omettant aussi d’examiner les effets cumulatifs des déprédations antérieures. C’est la réflexion qu’on devrait porter lorsqu’on passe en revue les multiples occasions historiques ratées et la situation actuelle déconcertante à plus d’un titre que nous subissons.
Il est indéniable que toute tentative de réforme provoque une levée de bouclier parce qu’elle bouscule un statu quo et peut écorner des intérêts. Les réactions se manifestent frontalement ou bien au moyen d’un discours bien rôdé et des actes biaisés. Mais s’agissant de la Tunisie, ce phénomène a pris de l’ampleur à travers l’intrusion dans les méandres de la politique de l’argent dont la provenance n’est pas clairement identifiée. Il ne s’agit pas des fonds, quasi honorables, versés à des partis politiques ou même à des candidats pour leur permettre de vivre ou de financer une campagne électorale.
Le risque devient grand, lorsqu’il est question du caractère occulte des circuits et des facilités de dissimulation offertes par les toiles d’araignées favorables au blanchiment des fonds. Cet argent sale, dont une part provient de l’étranger serait destiné à arracher une décision spécifique au profit d’un intérêt particulier ou d’infléchir des choix, ou carrément de financer des activités criminelles. Les effets délétères des accointances de l’argent et de la politique renforcent les comportements « antipolitiques » du citoyen, la défiance à l’égard des institutions publiques et l’abstentionnisme.
Nous avons constaté, par ailleurs, que nos gouvernants sont souvent frileux et timorés, pour ne pas soupçonner des compromissions. Quant à nos clercs, ces «hommes dont la fonction est de défendre les valeurs éternelles et désintéressées, comme la justice et la raison» selon Benda, ils affectionnent plutôt l’exégèse sans s’impliquer vraiment et «ont trahi cette fonction au profit d’intérêts pratiques».
S’agissant des partis politiques, à part Ennahdha, qui dispose d’une charpente réelle, basée sur un socle électoral avéré, c’est à peine forcer le trait que de dire que les autres embryons de partis politiques ne sont que le paravent, le front office d’autres entités nébuleuses. Ils souffrent d’une construction aléatoire et n’arrivent pas à s’autonomiser par rapport à leurs bailleurs de fonds.
C’est le règne de l’oligarchie comme ensemble flou d’individus partageant des intérêts politiques communs sans ancrage populaire. Ces nouvelles formations sont encore à la phase d’apprentissage, pour reprendre la formulation de Weber ce sont «des enfants […] du suffrage universel, de la nécessité de recruter et d’organiser les masses». Le scrutin de liste à la proportionnelle et à un seul tour a été adopté lors des dernières élections législatives, avec un objectif dissimulé d’avoir une assemblée composite et inapte à dégager une majorité homogène. Le résultat est une assemblée de partis qui mène le pays à l’immobilisme.
A ces anomalies originelles qui expliqueraient les ratés des réformes convoitées, s’ajoute des dérives survenues avec l’affranchissement de forces occultes sortis des entrailles du régime déchu et favorisées par les apprentis de la politique au cours des cinq dernières années. Ce sont des sortes de lobbys immergés qui fourmillent, placent à des postes clés des personnages pour téléguider ainsi les décisions qui leur sont favorables en défendant des intérêts soit partisans, soit sectoriels ou corporatistes.
S’agissant des partis politiques, à part Ennahdha, qui dispose d’une charpente réelle, basée sur un socle électoral avéré, c’est à peine forcer le trait que de dire que les autres embryons de partis politiques ne sont que le paravent, le front office d’autres entités nébuleuses. Ils souffrent d’une construction aléatoire et n’arrivent pas à s’autonomiser par rapport à leurs bailleurs de fonds.
La conviction d’une concussion répandue qu’elle soit avérée ou supposée a toujours constitué un facteur majeur de faiblesse pour un pays. Il faut absolument que ceux qui gouvernent prennent conscience qu’on va atteindre la limite quand tous leurs expédients auront été utilisés. Le constat est fait que tous les gouvernements passés sont inégalables dans le maniement de l’éteignoir, lorsqu’il s’agit de combattre véritablement la corruption et l’argent sale. Leurs démarches pour donner le change sont polluées par des soucis partisans et finissent par s’enliser dans les sables des connivences. A chaque fois, ils se démènent pour jeter un voile pudique sur toutes les turpitudes de la Troïka. Ainsi, l’écart entre l’importance relative de ce que l’on débusque par rapport à ce qui demeure enfoui est abyssal.
Tant de citoyens tunisiens patientent et espèrent encore une action audacieuse, rapide et globale pour anéantir la corruption, pour engager les réformes et les poursuivre sans fléchir face aux marchandages et aux rançonnages. Il nous faut absolument basculer vers la mobilité,la fluidité, l’ouverture, l’innovation pour un retour raisonnable de la croissance. Sinon, ne nous parlez plus ni de révolution, ni de réformes, plutôt de la gabegie et du tohu-bohu !