Seule certitude au vu du désordre qui freine la marche du pays quand il ne le condamne pas à la régression et au déclin : nous ne sommes pas mûrs pour un régime de partis, du reste pervertis à force d’aménagements et d’arrangements constitutionnels.
Ni régime parlementaire, au sens noble du terme avec un chef de gouvernement lui-même chef du parti majoritaire, au leadership incontesté et exerçant pleinement les prérogatives inhérentes à un tel système, ni régime présidentiel, comme il en existe dans les plus grandes démocraties occidentales.
Au lieu de quoi, nous payons aujourd’hui lourdement le prix de nos incohérences politiques et constitutionnelles. Nous vivons mal, très mal, une situation tout à fait inédite, comme nulle autre pareille. Le chef du gouvernement, malgré son engagement et son volontarisme, ne peut exercer toutes les prérogatives qui doivent être les siennes, sous peine de déclencher l’ire de l’ARP et de donner à penser qu’il empiète sur les attributs présidentiels.
Le président de la République, garant de la Constitution et de l’unité nationale, veut se donner plus de pouvoirs que ne lui confère une Constitution qui brille par son ambiguïté. Ses multiples domaines réservés : défense, diplomatie, sécurité nationale sont très extensibles et à géométrie variable.
Résultat : le chef du gouvernement ne peut décider de tout et l’hôte du Palais de Carthage ne doit et ne peut tout faire.
A croire que nous sommes dans un système de cohabitation dure, voire conflictuelle ; ce qui est loin d’être le cas. Et pour cause ! Habib Essid ne s’est pas imposé à Béji Caied Essebsi. C’est même le président de la République qui l’a choisi et installé place de la Kasbah.
Le problème est qu’à force de vouloir partager le pouvoir entre les trois têtes au sommet de l’Etat, on finit par multiplier les brèches, les failles et les dysfonctionnements en tout genre ; autant de sources et de facteurs d’immobilisme. De quoi ranimer les frustrations et les rancœurs et souffler sur les braises de la contestation sociale et les tiraillements politiques qui en sont à leur point de rupture.
Le constat est terrible … la classe politique – et pas seulement les politicards en rupture de ban sévèrement sanctionnés à l’issue des premières élections politiques dignes de ce nom – a du mal à assumer ses propres responsabilités.
L’opposition parlementaire, faute d’être audible au sein de l’ARP, attise la colère et l’indignation de la rue pour se faire entendre, au risque de provoquer le chaos. La coalition au pouvoir est dans une situation d’équilibre instable, sinon malsaine, loin en tout cas de garantir la cohérence et l’efficacité de l’action gouvernementale. Ses membres, qu’ils soient grands ou petits, entendent se servir de leurs prérogatives gouvernementales à des fins partisanes plus que se mettre au service du gouvernement.
La discipline ministérielle est réduite à sa plus simple expression. Moins que le service minimum. On ne joue pas collectif et on ne se serre pas les coudes, comme si chacun voulait profiter des erreurs des autres pour grimper dans les sondages et dans la bourse des valeurs politiques, tombée du reste au plus bas.
La force de conviction du chef du gouvernement, si déterminé et si dévoué soit-il à la cause nationale, suffira-t-elle pour conduire à la bataille de l’emploi et du développement un tel attelage cosmopolite ? Qui semble plus soucieux de l’issue des prochaines élections municipales que de la nécessité d’engager et de défendre les nécessaires et douloureuses réformes structurelles aux retombées électorales désastreuses. Qu’importe si d’ici là, on hypothèque toute forme de reprise de l’investissement et de la croissance.
Le gouvernement Habib Essid, et ce n’est un secret pour personne, n’est certes pas le meilleur gouvernement qu’ait connu le pays. Mais comme tous les gouvernements en charge du pouvoir, il est d’essence perfectible. C’est le propre de l’action politique. Le chef du gouvernement avance et avise au regard des résultats de son équipe ministérielle. Le dernier remaniement est censé en améliorer la cohérence et l’efficacité.
On ne joue pas collectif et on ne se serre pas les coudes, comme si chacun voulait profiter des erreurs des autres pour grimper dans les sondages et dans la bourse des valeurs politiques, tombée du reste au plus bas.
Il n’y a aucune fatalité à l’échec, dès lors que le gouvernement affiche clairement sa volonté et son ambition de redresser le pays, si tant est qu’il retrouve le sens de la discipline et une certaine autonomie à l’égard des partis de la coalition et surtout de l’ARP, qui veut s’arroger tous les droits et s’imposer en véritable détendeur du pouvoir.
La démocratie ne peut se concevoir sans une véritable et nécessaire séparation des pouvoirs. Il faut en finir avec les atermoiements de l’ARP, qui veut tout régenter, tout contrôler et décider de tout. Nous n’avons pas fait tomber une dictature pour faire naître une institution aux allures hégémoniques sous couvert de légitimité électorale.
Le gouvernement a déjà fort à faire avec le syndicat ouvrier, aux revendications portées à incandescence, pour ne pas se laisser distraire et s’épuiser par la guérilla parlementaire. Dans le contexte qui est le nôtre, face au tourbillon social et aux tensions politiques qui menacent de faire exploser tout l’édifice, le gouvernement doit pouvoir, dans l’urgence, gouverner par ordonnance sans se laisser pousser à la paralysie par les exigences surannées de l’ARP, aux de telles explosions, bien orchestrées dans le temps, sauf à admettre l’influence de forces occultes décidées à faire tomber le gouvernement, à annuler les résultats du vote de 2014 et à provoquer une grave crise politique.
S’agit-il d’une quelconque coalition à large spectre où l’on retrouve tout à la fois les groupes terroristes, les barons de la contrebande et du commerce illicite, les égarés de la politique et les radicaux de tout acabit ? Tous, chacun pour des raisons qui lui sont propres, craignent pour leur survie ou rente de situation. Ils sont troublés par l’action que mène le gouvernement pour rétablir l’Etat de droit, redresser l’économie, restaurer la confiance, préserver la paix civile et consolider la cohésion sociale.
Les partis politiques, les corps constitués, la société civile qui défendent à raison le droit à l’emploi, à la santé, au logement, à l’éducation, au développement pour tous, à une vie digne et décente sans la moindre exclusion, ne doivent pas non plus perdre de vue les fondamentaux d’une véritable démocratie. Nous devons faire preuve de discernement, sachant que tout ne peut être fait tout de suite. Le temps de l’économie est plus long que le temps du social et de la politique.
En viendra plus vite en aide aux régions en difficulté, aux sans-emploi en souffrance, notamment chez les jeunes diplômés, en retrouvant rapidement les vertus de la discipline, de la rigueur et de la patience qui ont déserté le pays. Il n’y a pas et il ne peut y avoir de destruction créatrice : le chaos est synonyme de désastre et il ne peut en être autrement. Le désordre finira par sonner le glas du rêve tunisien, de la formidable promesse née de notre printemps démocratique.
Il n’y a pas d’autre issue pour faire émerger une autre et authentique Tunisie, moderne, ouverte sur le progrès et le monde, en croissance rapide, réconciliée avec elle-même et avec ses problèmes, projetée avec vigueur et dynamisme dans le futur, qu’en retrouvant le sens des réalités et des responsabilités. Il nous faut tempérer nos revendications, conclure au plus vite un pacte de confiance, de responsabilité et de croissance.
Nous devons impérativement, avant que le pays ne sombre dans les méandres de la récession, faire la démonstration de notre volonté et de notre capacité de sauver notre économie et notre modèle social. Les investisseurs locaux et étrangers attendent de nous un signal fort de nature à réhabiliter l’attractivité du site Tunisie, tombé ces dernières années en déshérence. Si on y parvient, ils seront au rendez-vous. La croissance, l’emploi et les régions ne se redresseront pas autrement.