Le président-directeur général de l’ONTT dévoile la stratégie de diversification ciblée, aussi bien au niveau de la distribution, du produit, que des segments et des marchés. La stratégie se base sur un nouveau positionnement, qui met en avant l’authenticité et la culture vivante du pays. extraits d’une interview accordée à l’Economiste Maghrébin (n°683).
L’Economiste Maghrébin : Quels sont les messages forts véhiculés auprès des étrangers pour vendre la destination Tunisie ?
Abdellatif Hmam : Il faut envoyer des messages forts pour récupérer la confiance des professionnels du tourisme. Le premier est de leur montrer qu’on croit en notre pays et en ses potentialités. Nous mesurons aujourd’hui l’importance de lancer, de construire et de valider ce message fort. Nous croyons en ce pays et nous travaillons fort pour véhiculer ce message. Le secteur du tourisme vit depuis 2010 une situation difficile, qui s’est amplifiée plus tard. Tout cela nous invite à travailler sur plusieurs axes. Le premier est la reconsidération de la position du secteur du tourisme dans l’économie globale. La conception classique, qui consiste à considérer que le tourisme représente uniquement 7% du PIB est erronée. Sa contribution est beaucoup plus importante à travers ses effets induits. Il est important que toutes les forces vives du pays réalisent que l’un des moteurs de la croissance devrait être, et de façon très forte, le tourisme. Cela suppose que nous ayons un tourisme intégré dans la cité. Il faut migrer de la zone touristique où le touriste loge, consomme et passe du temps dans des hôtels isolés, vers la ville. Il est important de virer progressivement en aménageant nos villes, en y créant des animations et en élevant le niveau de nos restaurants touristiques et espaces urbains. Aujourd’hui, le touriste est en quête d’authenticité
L’authenticité … Un bon slogan de campagne.
Absolument. C’est extrêmement important. C’est ce que recherche le touriste. Autres éléments et non des moindres, la revalorisation de la destination et la diversification du produit. Le tourisme de demain sera bâti autour d’infrastructures qui ne sont pas uniquement hôtelières. Aujourd’hui, les gens peuvent venir pour chasser, pour jouer, pour trouver de l’aventure,… Il y a une diversification autour du produit touristique. La Tunisie dispose d’atouts incommensurables à cet égard. Le pays peut se targuer d’une richesse extraordinaire et d’une diversité qui ne sont malheureusement pas mises en valeur. Il y a un travail de revalorisation de la destination et de diversification du produit à mettre en place.
Il y a une triple accessibilité à développer pour la destination. D’abord, l’accessibilité physique par l’avion. Il n’y a pas de tourisme s’il n’y a pas d’avion.
Les tarifs est le deuxième point d’accessibilité. Aujourd’hui, des compagnies low cost comme Ryanair offrent en moyenne des allers-retours entre une ville européenne et une autre à 60 euros. Cela dégage, pour un couple moyen, un budget supplémentaire pour aller au restaurant, faire des achats, etc. Le troisième point d’accessibilité, c’est l’absence de la Tunisie dans plusieurs marchés conséquents, tels le marché chinois ou encore le marché indien. Le marché indien représente un milliard 300 millions d’habitants dont 300 millions appartiennent à la classe moyenne. Une classe moyenne qui a envie de voyager et de découvrir de nouvelles destinations. Pour sa part, le marché chinois est un marché immense. Il y a des opportunités que nous avons validées.
Aussi devient-il impératif de lancer un projet national de e-visa. Il est important que n’importe qui dans le monde puisse avoir un visa de façon électronique. Lorsqu’il arrive, il paie des fees et on lui accorde son landing visa. Ceci peut drainer un flux de touristes conséquent. Nous l’avons fait avec la Russie et on a constaté les flux venus vers nous. Le fait de ne plus exiger de visa est devenu un avantage distinctif de taille et un élément de compétitivité et d’attractivité touristique.
Par ailleurs, il y a un travail de valorisation de notre environnement. Une des premières raisons de voyager est de ramener des souvenirs et de faire du shopping. Est-ce que la Tunisie est une destination shopping ? C’est la question qui se pose avec acuité. Il faut introduire des mécanismes courageux de restitution de la TVA pour les acheteurs internationaux. Tous les pays le font, même la Russie ou la Chine. Il est important d’intégrer le tourisme dans l’esprit de n’importe quel décideur. Le tourisme doit être intégré à toute politique de développement, y compris régional. Il doit être la priorité des maires des villes de Tunisie.
Le développement d’un environnement adapté à la nouvelle clientèle potentielle revêt une importance de taille. Un marché comme la Chine requiert une restauration adaptée. Dans tout cela, le maître mot est l’imagination et le courage, car les chantiers sont de taille…
Absolument. Il faut développer ce qu’on appelle le « friendly environment », notamment pour un marché qui reste attaché à ses traditions culinaires comme la Chine. Et l’enjeu vaut le détour. Le tourisme a un avenir presque sûr dans ce pays. La Tunisie a investi dans une première génération d’industrie hôtelière. Aujourd’hui, elle a la chance d’avoir une nouvelle génération d’hôteliers. Je rends hommage aux bâtisseurs et je fais confiance à la nouvelle génération qui est aux commandes. Il y a des opportunités dans la revalorisation du produit touristique par une mise à niveau intelligente et novatrice, une actualisation des normes et une revalorisation par le haut de notre produit. Nous avons un excellent produit naturel qu’il va falloir maintenir à haut niveau, en le valorisant. Les possibilités d’investissement doivent suivre. D’ailleurs, le secteur bancaire doit réaliser que le tourisme est un secteur porteur d’opportunités.
Si tant est qu’on règle les arriérés…
Bien évidemment. Il y a des possibilités dans la reconversion des unités hôtelières. C’est du concret. Il y a des intentions concrètes pour transformer des unités hôtelières en résidences d’accompagnement médicalisé. C’est un modèle économique qui se tient, avec un taux de remplissage de 100% sur toute l’année.
Il y a aussi le tourisme intérieur…
Le tourisme intérieur est prépondérant. Il y a plusieurs moyens de repenser notre tourisme local de façon à ce qu’il soit élargi et diversifié. Le ministère de l’Education peut être associé pour intégrer dans les programmes scolaires des visites de sites culturels pour les élèves de la 6ème année primaire. Des visites peuvent être organisées dans les sites de Sbeïtla et d’El Djem, avec la présence d’un guide ou d’un enseignant. Cela créera a fortiori une demande durable et consistante sur l’année, qui permettra de soutenir le tourisme intérieur.