La décision du ministère des Affaires religieuses d’organiser des cours d’enseignement du Coran, dans les écoles et collèges a suscité un vif débat, entre les corps constitués, qui ont accepté l’initiative et des intellectuels, des syndicalistes et des journalistes, qui la rejettent.
Ils s’opposent à une mutation des structures d’enseignement, qui seraient convertis, en la circonstance, en relais du ministère des Affaires religieuses. Ils craignent que les écoles publiques échappent ainsi au contrôle des instituteurs et des professeurs, seuls habilités à y exercer leur enseignement. On aurait tort d’y voir un hostile processus à l’enseignement du Coran. La mémorisation du livre sacré, objet de consensus général, ne peut susciter de contestations. D’ailleurs, des sourates sont apprises dans les écoles primaires, alors que les cours d’enseignement religieux, dans les lycées et collèges, font valoir les références coraniques, le hadith et la sûnna. Des professeurs spécialisés exercent cet enseignement, sous le contrôle d’inspecteurs généraux, maîtrisant la matière.
En réalité, c’est cette ingérence du ministère des Affaires religieuses qui pose problème. Elle occulte les structures d’enseignement et les empêche de valider leur accueil par leur nécessaire contrôle, vu que les cadres appropriés sont en congé pendant l’été. Elle remet en cause la pédagogie d’enseignement, pouvant réactualiser les structures archaïques des Kouttabs.
Les écoles coraniques, kouttabs en Tunisie et msid au Maroc, étaient tenues par un fkih qui enseigne aux enfants des versets du Coran sur une petite tablette de bois. La pédagogie était centrée sur le maître et des activités d’apprentissage et de mémorisation. L’usage de la Felqa était de règle. Toutes les activités favorisant le mouvement, la créativité, la communication, l’autonomie et le jeu chez l’enfant trouvent difficilement leur place. Particularité du Maghreb, l’enseignement se limitait à la mémorisation du Coran.
En Andalousie, on apprenait avant tout à l’enfant à lire, à écrire et à compter. On le faisait à partir du Coran, mais on introduisait d’autres sujets tels la poésie (ديوان العرب), l’art de la correspondance (الترسيل) et la grammaire. Ibn Khaldoun préférait cette pédagogie à celle du Maghreb où l’enfant récitait le Coran sans le comprendre.
Pendant la période coloniale, les parents mettaient traditionnellement leurs enfants dans des écoles coraniques, vers l’âge de quatre ans jusqu’à leur entrée dans l’école publique. Il ne reste plus dans les écoles coraniques que les plus jeunes enfants qui n’ont pas encore atteint l’âge de la scolarisation. Ces structures, désormais dépassées, depuis l’indépendance, sont remplacées par les jardins d’enfants, qui assurent l’enseignement préscolaire, sous le contrôle d’experts et de pédagogues. L’idéaltype bourguibien, faisant valoir la généralisation de la scolarisation et sa modernisation, ne pouvait tolérer ces séquelles d’un autre temps.
On comprend ainsi les inquiétudes de l’élite, qui craint, par cette innovation hors normes, l’établissement d’écoles et collèges hors contrôle, après les mosquées hors contrôle, qui ont nourri le passéisme, la transgression des valeurs modérées de l’Islam et parfois les dérives jihadistes.