Qu’ils soient à Gabès, Médenine, Tataouine ou Gafsa, le secteur de l’énergie et des mines soulève encore des problèmes à tous les niveaux.
Loin d’afficher leur contribution à l’économie nationale, à la croissance, les mines et l’énergie préoccupent les habitants de ces gouvernorats. Les coordinateurs régionaux de la Coalition tunisienne pour la transparence dans l’énergie et les mines ont présenté leurs constats, ce matin du 28 avril, lors d’une conférence-débat à Tunis.
Gafsa : le gouvernorat frappé par la malédiction du phosphate
La ville de Gafsa souffre. Taoufik Aïn, le coordinateur régional de la Coalition tunisienne pour la transparence dans l’énergie et les mines à Gafsa, a présenté un tableau pour le moins inquiétant de la situation. Le premier des handicaps dont est affectée la région est la pollution causée par l’extraction du phosphate qui contamine l’air, les premières victimes étant les habitants et le secteur agricole. Mais, il ne s’agit pas uniquement de cela, puisque les déchets de phosphate ne sont pas recyclés et ont manifestement des retombées négatives sur l’environnement.
Le deuxième handicap est relatif à l’épuisement de la nappe phréatique: » La CPG absorbe au moins 11% de la nappe d’eau. Cette exploitation de l’eau à outrance par la CPG est à l’origine de la pénurie d’eau constatée dans la région », a regretté l’intervenant. En effet pour laver une tonne de phosphate, cinq tonnes d’eau sont nécessaires, d’après les analyses de la Coalition.
Le troisième handicap se situe au niveau du transport du phosphate. Le coordinateur régional a rappelé qu’historiquement le transport du phosphate se faisait par la Société nationale des chemins de fer tunisiens (SNCFT). « Nous avons mis les responsables en garde contre la situation financière désastreuse de la société, mais en vain », dit-il . » 40% du chiffre d’affaires de la société sont réalisés grâce au transport du phosphate », d’après la même source. Alors que la situation de la SNCFT est désastreuse, l’Etat a eu recours à des entreprises privées pour le transport du phosphate par des camions. « Les responsables avancent comme prétexte que le nombre de wagons n’est pas suffisant pour transporter le phosphate. Une question se pose alors : comment se fait-il qu’en 2010 le nombre de ces mêmes wagons était suffisant? »,rétorque-t-il.
Et d’ajouter : « La seule mine fonctionnelle est celle de Metlaoui. Le gouvernement doit ouvrir un débat afin de résoudre tous les problèmes existants ».
Gabès : quand l’industrie détruit un potentiel touristique considérable
A Gabès, le tourisme a cédé la place à des usines polluantes. Résultat : destruction du tourisme des oasis. Ce triste constat est annoncé par Foued Kraïm, coordinateur de la Coalition tunisienne pour la transparence dans l’énergie et les mines de Gabès.
« La seule oasis maritime au monde est gravement atteinte à cause de la pollution. Elle aurait pu être une très bonne zone touristique », regrette-t-il.
Remontant dans le temps, Foued Kraïm s’insurge et rappelle que depuis 40 ans, la ville de Gabès souffre le martyre à cause d’une décision politique imposant la création des usines pour le phosphate dans cette ville. « Depuis lors, nous subissons toutes sortes de maladies dues à la pollution. Que viennent faire cette usine et ce phosphate à Gabès? », s’insurge-t-il.
13 mille tonnes de phosphogypse sont déversés en mer, ce qui a pollué la mer et a exterminé un certain nombre de plantes sous-marines, entraînant en même temps le chômage des marins, indique-t-il.
Les habitants de Gabès se trouvent confrontés à des produits chimiques dangereux comme l’ammoniac et l’AC2, sans parler des odeurs nauséabondes dégagées par les unités de production. Cependant, les solutions ne manquent pas comme par exemple la station de dessalement. « Les autorités estiment que les coûts sont trop élevés et là je me demande quelle valeur donne-t-on à la vie humaine ? »
De plus, les entreprises installées à Gabès ne contribuent pas à l’effort de développement. Pire, un certain nombre d’entre elles refusent toute négociation et ne sont même pas ouvertes au dialogue, d’après le même intervenant.
Où sont les lois pour appliquer l’article 13 de la Constitution tunisienne?
Sihem Bouazza, vice-présidente et coordinatrice nationale de la Coalition tunisienne pour la transparence dans l’énergie et les mines, a indiqué que deux ans après la promulgation de la Constitution, les lois appliquant l’article 13 n’ont pas encore vu le jour, notamment en ce qui concerne l’approbation des contrats pétroliers.
Rappelons que l’article 13 de la Constitution stipule que : « Les ressources naturelles sont la propriété du peuple tunisien, la souveraineté de l’Etat sur ces ressources est exercée en son nom. Les contrats d’exploitation relatifs à ces ressources sont soumis à la commission spécialisée au sein de l’Assemblée des représentants du peuple. Les conventions ratifiées au sujet de ces ressources sont soumises à l’Assemblée pour approbation. »
Bien qu’il existe des appels d’offres publiés sur le site de l’ETAP pour choisir les sociétés qui vont bénéficier de permis d’exploitation, ces appels d’offres ne répondent pas aux critères exigés du marché public, notamment l’obligation de justifier le refus de la demande.
D’ailleurs notre interlocutrice a avancé que ces appels d’offres ne garantissent pas la concurrence loyale : « Il y a des entreprises qui n’ont même pas reçu de réponse », confirme-t-elle.
Autre question qui se pose, le projet de loi relatif à l’amendement du Code des hydrocarbures. Ce projet de loi comprend quatre axes, à savoir :
- L’explication de l’article 13 de la Constitution;
- La transparence dans le secteur des hydrocarbures;
- Les nouvelles réformes;
- Le gaz de schiste qui « a été ajouté dans le code des hydrocarbures, alors que l’avis de l’opinion publique n’est pas encore connu».
La responsabilité sociétale de l’entreprise : encore un slogan creux?
Le Chef du gouvernement Habib Essid avait annoncé, durant les premiers cent jours de son investiture, que Tataouine deviendrait un exemple pilote pour la responsabilité sociétale de l’entreprise. Mais cela ne s’est pas réalisé, d’après Aymen Latrech, coordinateur régional de la Coalition tunisienne pour la transparence dans l’énergie et les mines à Tataouine et à Médenine.
De même, un budget de 15 millions de dinars avait été alloué pour la responsabilité sociétale à Tataouine de la part des sociétés ETAP, Winstar, ENI, et OMV. « Mais comme par hasard, cette enveloppe a été revue à la baisse pour atteindre 11 millions de dinars 600!», proteste-t-il.
Par ailleurs, un bureau d’études a été chargé de préparer un programme de développement, sans aucune consultation avec les représentants de la société civile de la région.
Selon le coordinateur régional, les projets réalisés par les sociétés ne touchent pas les priorités des habitants de la ville et n’ont rien à voir avec l’emploi et le développement. « Nous avons constaté que les projets menés par les entreprises comme la santé et l’emploi dans le cadre de l’RSE (à l’instar de la campagne de sensibilisation sur la santé) n’ont pas transformé les priorités et ce malgré un taux de chômage considérable, puisque Tataouine demeure parmi les premières villes en termes de taux de chômage », explique-t-il.
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