En dépit d’un large consensus, les réformes économiques ont dû mal à progresser. Quelques éléments d’explication…
S’il y a une question de politique économique sur laquelle il y a eu un consensus entre les différents gouvernements depuis la révolution c’est bien celle des réformes économiques. En effet, qu’il s’agisse des deux gouvernements de la troïka, du gouvernement de Mehdi Jomaa ou des deux gouvernements Habib Essid, les réformes économiques occupent une place de choix dans les priorités politiques.
Ce consensus sur la nécessité et l’importance des réformes s’explique par plusieurs aspects. Le premier est lié au retard et à la lourdeur qui caractérisent certaines de nos institutions qui sont restées fermées au vent du changement depuis de longues années. A ce niveau, nous pouvons donner comme exemple nos administrations publiques qui, au fil des années, ont perdu de leur efficacité et de leur dynamisme et demandent un effort de modernisation afin de leur permettre de participer pleinement à la transition économique que notre économie doit entamer pour appuyer et renforcer la transition politique. Le second aspect est lié au poids et au coût croissant de certaines institutions sur le budget de l’Etat.
A ce propos, nous pouvons évoquer, par exemple, les entreprises publiques qui cumulent des déficits de plus en plus importants qui viennent peser sur des finances publiques en pleine tourmente. Un troisième aspect vient du fait que certaines institutions ou certains mécanismes ne servent plus les raisons pour lesquels ils ont été mis en place. On peut évoquer à ce propos les mécanismes de subventions des produits de base qui bénéficient de moins en moins aux couches les plus pauvres et profitent plus aux couches moyennes qui consomment les produits subventionnés, notamment le carburant.
L’ensemble de ces éléments explique le consensus large dont bénéficient aujourd’hui les réformes dans le spectre politique tunisien. Ces réformes doivent donner à nos institutions économiques l’efficacité nécessaire et les moderniser afin qu’ils puissent participer de manière beaucoup plus dynamique dans la relance de la croissance économique et dans le processus de transition. Mais, en dépit de cet accord et de ce large consensus, force est de constater aujourd’hui que ce mouvement de réformes est lent et atone. Un constat que partagent beaucoup d’experts nationaux mais aussi les institutions internationales. Et, les exemples ne manquent pas sur les chantiers de réforme qui ont été ouverts depuis la révolution et qui restent loin d’avoir été finalisés et accomplis.
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A qui la faute ?
Bien évidement l’économie politique des réformes nous a donné des réponses qui trouvent dans la situation tunisienne leur validation, avec notamment la résistance des perdants des réformes et la faible mobilisation de ceux qui en seront les bénéficiaires. Mais, à ces explications traditionnelles il faut ajouter, à mon avis, d’autres éléments spécifiques qui expliquent ces retards et ces faibles progrès dans la mise en œuvre des réformes économiques. A ce niveau, je souhaite mettre l’accent sur la timidité et la tiédeur de l’élan réformateur dans notre pays. En effet, contrairement à d’autres pays en transition, ce mouvement n’a pas eu chez nous la vigueur, la détermination et surtout l’ambition pour basculer notre économie dans une dynamique de réformes capable d’appuyer une nouvelle dynamique de croissance forte.
Trois éléments nous permettent de voir la timidité de l’élan réformateur tunisien post-révolution. Le premier concerne notre appréhension à ouvrir les chantiers majeurs de réformes, notamment celle de l’administration. Certes, ce chantier est complexe et demande plusieurs années de travail, une continuité et un engagement sans faille afin de redonner à l’administration ses lettres de noblesses et d’en faire une véritable force capable de porter la transition économique. Mais, ce chantier reste ajourné en dépit des engagements et des promesses et les gouvernements successifs ne l’ont pas ouvert.
Le second élément significatif de cette timidité et de la faiblesse de l’ambition réformatrice concerne notre appréhension à aller au fond des choses et à se limiter à des demi-solutions qui sont probablement plus acceptables du point de vue politique. A ce propos, on peut citer deux exemples importants. Le premier concerne la question des subventions et si nous avons mis fin à un pan essentiel de ces subventions avec l’application de la vérité des prix aux secteurs industriels énergivores, nous peinons à poursuivre les réformes dans ce domaine et notamment à apporter un appui direct aux couches sociales nécessiteuses et à réduire l’impact et le poids économique de subventions globales et non ciblées.
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A ce niveau, nous pensons que la baisse majeure des cours du pétrole à partir de la fin de 2014 et particulièrement en 2015 a constitué une occasion manquée pour franchir une étape supplémentaire dans la réalisation de cette réforme. Le second exemple est relatif à la réforme bancaire. A ce sujet, nous soulignons que la recapitalisation des banques publiques et les changements importants en matière de gouvernance sont des éléments essentiels et des étapes importantes dans le sens d’une plus grande solidité de notre système bancaire et surtout dans le financement de notre économie. Mais, nous devons porter une ambition plus forte pour la réforme bancaire, avec la cession de la participation de l’Etat dans un grand nombre de banques.
De plus, nous devons nous diriger de manière déterminée vers la construction de champions bancaires nationaux capables d’appuyer l’Etat dans le financement des grandes infrastructures qui seront également en mesure d’accompagner nos groupes industriels de plus en plus présents sur les marchés internationaux.
Le troisième élément qui explique la timidité de l’élan réformateur s’explique par la complexité du processus législatif dans l’adoption des réformes, mais aussi dans l’exécution et la mise en place de celles-ci. A ce propos, le dernier psychodrame lié à l’adoption de la loi sur la banque centrale et les retards dans la finalisation des textes d’application d’une loi aussi importante que celle du partenariat public-privé en sont des exemples.
Notre économie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins et se doit de réussir sa transition économique et la construction d’un modèle de développement plus inclusif afin d’appuyer notre transition politique. Les réformes économiques sont un élément essentiel dans cette transition. Mais, nous devons aller au-delà des consensus et nous armer d’une ferme volonté, d’une grande ambition et d’une détermination sans faille, afin de faire des réformes l’allié de la transition économique.
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