Entre la liberté d’expression et le droit de travailler librement, concrètement quels sont les droits acquis par les journalistes ?
Les médias, qu’ils soient publics ou privés, se battent-ils pour améliorer les conditions des journalistes ?
Chaque jour, le journaliste a pour mission de chercher les informations, puis de les expliquer, soit en choisissant d’écrire un article, soit en décodant une photo, soit encore à travers la radio ou la télé. Et pourtant, il est toujours confronté à plusieurs obstacles. Témoignages, à l’occasion de la Journée internationale de la presse, célébrée chaque année le 3 mai.
« Les conditions de travail des journalistes sont la plupart du temps exécrables« , nous confie Nabil Charfedinne, photographe, membre du bureau exécutif du syndicat des journalistes et avec à la clé une expérience professionnelle de plus de vingt ans.
Il poursuit: « Aujourd’hui nous sommes dans une situation extrêmement critique. Cela fait trois mois que nous n’avons pas perçu notre salaire. Et ceci n’est que le sommet de l’iceberg : précarisation du métier (absence de contrat), absence de couverture sociale et insécurité lors de la couverture des événements parfois violents et là je me réfère à ce qui s’est passé à Ben Guerdane. Même avec les forces de l’ordre, rien n’a vraiment changé, toujours la même susceptibilité qui risque de dégénérer à tout moment. Ce sont des problèmes parmi d’autres. Mais ce qui est le plus troublant, c’est de devoir exercer sans contrat en bonne et due forme. Nous sommes déjà décrits comme des « hors-la-loi » et travailler hors d’un cadre légal, n’est pas pour nous rassurer, loin s’en faut ».
La liberté d’expression au sein des entreprises médiatiques
Pour Nabil : « Il n’y a pas de liberté d’expression qui tienne pour celui qui fait cavalier seul, il sera tout de suite mis à la porte. Par contre si nous sommes un groupe de journalistes solidaires et nous dénonçons un fait, là c’est différent. Nous sommes invincibles ».
De son côté, Khaled Trabelsi, journaliste sportif à Ettounsia, se retrouve dans la même situation que celle de Nabil. Et pour cause, lui aussi n’a pas reçu son salaire des trois derniers mois, et qui plus est, il ne bénéficie d’aucune couverture sociale. Il explique : « Cela fait cinq ans que je travaille dans ce journal, je l’ai vu naître, le 27 décembre 2011, un peu comme un nouveau-né. C’est pratiquement ma seconde maison. J’ai tout donné et je continuerai à le faire, mais ce que nous vivons aujourd’hui est grave. Le problème aujourd’hui, c’est que personne ne nous écoute, un directeur toujours absent, et qui ne nous accorde pas nos droits les plus légitimes, à savoir un salaire et un contrat. »
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Il poursuit: « Un journaliste est fortement lié à l’opinion publique, en quelque sorte, nous sommes la voix du citoyen. Cependant qui défend le journaliste? Personne, et c’est le moment ou jamais de renverser la donne ».
Chaker Besbes, journaliste et présentateur de l’émission “Studio Shems”, à Shems fm, déclare: « C’est un métier qui évolue constamment, mais il est exposé aux risques mais aussi aux menaces pesant sur son indépendance. On peut citer la présence des groupes industriels, les interventions politiques parmi d’autres. Non seulement il s’agit du métier le plus instable sur le plan financier, et sur le plan couverture sociale, mais en plus le journaliste se trouve entre l’enclume et le marteau, une chose qui ne devrait pas exister quand on parle de démocratie et liberté d’informer. »
Il ajoute : « Cela dit, je reste toujours optimiste car nous avons des jeunes journalistes qui promettent et qui croient dur comme fer en une meilleure Tunisie. Mais pour que tout ceci se réalise, il y a tout un chantier à mettre en place en termes de réformes, de formation. Ensemble nous y arriverons car quand on veut on peut. »
De son côté, Walid Mejri, rédacteur-en-chef de la version arabe Inkyfada – et du journal hebdomadaire Akher Akhaber-, le média qui a révélé le scandale des Panama Papers, fait un état des lieux de l’après-révélation. Il nous confie : « Ce que j’ai remarqué, ce qui intéresse le Tunisien, c’est connaître les noms, qui a fait quoi et ça lui suffit. Il ne cherche pas à comprendre ce qu’est le journalisme d’investigation, il cherche juste de quoi alimenter ses discussions dans les cafés »
Interrogé s’il a reçu des menaces, il répond: « Pas vraiment. Même via Fb ou twitter, ceux qui ont posté des statuts n’ont fait qu’exprimer leur sympathie envers telle ou telle personne citée dans notre enquête, ce qui est compréhensible. Comme nous avons également des sympathisants qui nous soutiennent, il y a une sorte d’équilibre ».
Y a-t-il aujourd’hui à proprement parler une crise des médias ?
Selon lui, il est clair que le secteur traverse une crise, notamment dans la presse écrite. Il s’explique: « Il y aurait des solutions forcément, pourquoi ne pas distribuer des journaux gratuitement dans les stations de métro ? C’est ce qui se passe en France, ou encore passer à la version web. Il faut une réelle volonté de changement ».
Par ailleurs, Moez El Bey, rédacteur-en-chef du journal arabophone « Acharaa el magharbi », a indiqué que la liberté d’expression quand il s’agit du journaliste est illusoire. Sur le plan judiciaire, certains juges vont jusqu’à refuser d’appliquer certaines lois.
« Pis encore, il n’y pas de réelle volonté politique de soutenir les journalistes. Malheureusement, il y a tout un lobby financier qui se cache derrière. Cependant, si on ne consolide pas la transparence financière, il est tout à fait normal que les vieilles pratiques de l’époque de Ben Ali reviennent. Les politiciens n’ont qu’un rêve, celui d’avoir la mainmise sur le 4e pouvoir », conclut-il.
Pour rappel, l’article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (10 décembre 1948) stipule que “Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit”.
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