Après trois mandats successifs de Premier ministre, Erdogan a fini par se convaincre que le poste est trop étroit pour son ego et qu’il lui faut autre chose. D’où la révision de la Constitution qui lui a permis de se faire élire président et de choisir un Premier ministre qui travaillerait docilement sous ses ordres.
En choisissant Ahmet Davutoglu au poste de Premier ministre, le très ambitieux président a fait le pari de la docilité.
Sauf que Davutoglu s’est révélé insuffisamment docile avec une tendance marquée à l’indépendance, à l’esprit d’initiative, n’hésitant pas à se montrer critique ou agacé par les pratiques dictatoriales du président. En d’autres termes, le Premier ministre n’apprécie pas le mépris de plus en plus prononcé du président envers la Constitution et sa tendance à s’accaparer tous les pouvoirs. De son côté, le président n’apprécie pas l’indocilité du Premier ministre, lui reprochant, entre autres choses, le fait d’avoir négocié tout seul l’accord sur les politiques migratoires avec Bruxelles et surtout sa volonté clairement affichée de retourner à la table des négociations avec la rébellion kurde.
Ces divergences entre le président et son Premier ministre n’étant pas un secret, la démission de celui-ci n’a donc étonné personne, mais a approfondi un peu plus dans le pays la crise engendrée par la politique intérieure et extérieure de celui-là.
Trois mandats successifs de Premier ministre et un mandat de président ont visiblement gonflé démesurément l’ego d’Erdogan qui est en train de laminer méthodiquement les acquis démocratiques du peuple turc, ces mêmes acquis qui lui ont permis à lui et son parti islamiste de gouverner la Turquie pendant treize ans.
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Le cas Erdogan, ou le « problème » Erdogan, comme disent les opposants turcs, démontre encore une fois si besoin est la duplicité et la dangerosité de l’islam politique pour qui tous les moyens pour arriver au pouvoir (des coups d’Etat aux élections, en passant par les complots et les intrigues), sont licites.
Le président turc est arrivé au pouvoir à travers des élections libres. Au lieu de renforcer les acquis démocratiques qui honorent la Turquie, il est en train de les remettre en cause. En outre, plus son intolérance vis-à-vis de la liberté de la presse, des voix discordantes et de la séparation des pouvoirs augmente, plus le rythme de cette remise en cause s’accélère.
Tarhan Erdem, directeur d’une compagnie spécialisée dans le sondage d’opinions, est furieux : « La Turquie est dans un état chaotique et cela est dû au fait que le président estime naturel de faire ce qu’il veut en violation de la Constitution. Si le président impose sa volonté sans changer la Constitution, cela veut dire que la démocratie turque est en train de perdre tous ses acquis. Ce que nous sommes en train de vivre est indescriptible. Tout ce que dit le président devient loi instantanément. Tous les jours des mesures sont prises pour asseoir le régime personnel. Désormais, il y a un seul homme en Turquie et cet homme, c’est Erdogan! »
Il n’est pas le seul à avoir de telles inquiétudes vis-à-vis des ravages que fait subir l’islamiste Erdogan à la démocratie en Turquie. Ecoutons l’ancien ministre de la Justice et constitutionnaliste, Hikmet Sami Türk : « Il est de plus en plus clair qu’Erdogan fait peu de cas de la Constitution. En Turquie, il y a un problème Erdogan et ce problème est en train de s’aggraver. Le genre de régime présidentiel qu’on veut nous imposer vise à unir les pouvoirs législatif et judiciaire avec le pouvoir exécutif, ce qui mettrait un terme au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs. »
La véritable question qui se pose est : le président turc peut-il agir autrement? L’homme est fanatiquement convaincu que la démocratie, comparée à l’islam, ne vaut absolument rien. Il est obsédé par l’empire construit par ses ancêtres qu’il rêve de ressusciter, en concentrant entre ses mains les pouvoirs dont jouissaient les sultans ottomans. Plus important encore, Erdogan est impliqué jusqu’au coup dans la déstabilisation de la région, dans la multiplication des ennemis de la Turquie, dans le soutien sans limites aux terroristes de toutes obédiences et de toutes nationalités qui sèment la mort et la destruction en Syrie, sans parler des dossiers de corruption que la presse turque fortement surveillée est dans l’incapacité de dévoiler à l’opinion publique. Autant de facteurs donc qui expliquent cette détermination erdoganienne à transformer la démocratie turque laborieusement édifiée en une vulgaire et hideuse dictature. Reste à savoir si le peuple turc accepte une dégradation aussi humiliante aux yeux du monde.