La récente rencontre entre le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi et Béji Caïd Essebsi, le 13 mai dernier, s’inscrit dans une stratégie plus globale de la nouvelle grande puissance mondiale.
L’agenda diplomatique est parlant. Quelques jours avant la rencontre sino-tunisienne, la visite officielle du roi Mohammed VI à Pékin revêtait une toute autre dimension, puisqu’elle a été ponctuée par la signature d’un partenariat stratégique et de quinze accords économiques et partenariats public-privé d’une valeur de plus 110 millions d’euros.
Toutefois, l’Algérie demeure le partenaire – historique – privilégié de la Chine au Maghreb. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Algérie, devant la France. Des centaines d’entreprises chinoises sont installées et travaillent en Algérie, en particulier dans les secteurs du bâtiment, des travaux publics et de l’import-export. Les hydrocarbures algériens figurent ici au premier rang des préoccupations stratégiques chinoises, compte tenu des besoins énergétiques du pays. Des ouvriers se sont même installés en Algérie, à travers la présence des entreprises chinoises dans le BTP et la construction d’infrastructures. Enfin, malgré les rapprochements récents avec la Tunisie, celle-ci demeure au second plan des rapports maghrébo-chinois. La Tunisie compte néanmoins sur le soutien de la Chine dans son processus de réforme socio-économique, notamment par l’extension des domaines de coopération tels que le commerce, les investissements, le tourisme et les infrastructures et la capacité industrielle.
Si l’influence de Beijing sur la région passe encore essentiellement par le biais économique et commercial, la Chine entend prouver qu’elle est capable de mener une politique d’aide au développement d’un « nouveau type », différente de celle conduite par les pays occidentaux depuis les indépendances. Elle distribue ainsi annulation de dettes, prêts à taux préférentiels, dons humanitaires, assistance à l’éducation et à la formation, tout en avançant parallèlement ses pions dans le domaine économique, et plus particulièrement dans le secteur des hydrocarbures. La Chine accroît son influence dans l’espace méditerranéen en signant des contrats de fourniture d’infrastructures et d’acquisition de matières premières (J. Huntzinger, 2014). Les pays de la rive sud de la Méditerranée bénéficient de la main-d’œuvre et du savoir-faire chinois et entendent profiter d’investissements financiers et de transferts massifs de technologie.
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Si la nature de ces intérêts communs diffère entre le Moyen-Orient et le Maghreb, la politique chinoise avec les rives sud et est s’articule autour de relations bilatérales (accords et partenariats) et multilatérales (forums de coopération, dont le Forum économique et commercial Chine-pays arabes), le tout en une politique pragmatique (mise en évidence par l’attitude chinoise au Conseil de sécurité de l’ONU depuis la guerre du Golfe de 1991) qui exclut toute présence militaire et toute prétention messianique. Sa pénétration économique s’accompagne d’une augmentation continue du nombre de ressortissants chinois. Malgré l’épisode de l’évacuation massive des ouvriers chinois durant les premières semaines de la guerre libyenne, des communautés chinoises se sont installées au Maghreb, essentiellement en Algérie.
Ces implantations au Sud de la Méditerranée présentent plusieurs avantages de taille : une main-d’œuvre abondante pour certains et parfois moins coûteuse qu’en Chine (y compris au Maroc), des marchés très ouverts aux produits chinois grâce aux prix pratiqués et sur lesquels les produits chinois possèdent encore de grandes possibilités de pénétration, malgré une présence déjà très forte, et enfin un potentiel de consommateurs très important. Les activités chinoises dans ces pays rencontrent néanmoins de multiples obstacles : une législation peu favorable aux investisseurs étrangers en Algérie ou en Libye, ainsi qu’une main-d’œuvre moins performante que la main-d’œuvre chinoise (faible productivité, multiplication des mouvements sociaux affectant les délais d’exécution des contrats, etc.).
C’est ainsi que la Chine est en passe de devenir le principal investisseur dans la région. Ici comme ailleurs, la puissance chinoise privilégie la diplomatie économique et la coopération bilatérale à l’ingérence dans les affaires internes. Si pour la Chine, le Maghreb ne représente pas traditionnellement un espace ou concept stratégique significatif, pertinent, elle perçoit désormais l’intérêt stratégique de sa localisation au croisement de diverses aires, dont l’Europe.
On ne peut cependant parler de « politique chinoise » au Maghreb. Si l’affirmation de la Chine au Maghreb comme champ d’action économique témoigne du nouveau statut de puissance mondiale de l’entité asiatique, il revient aussi aux pays d’Afrique du Nord de définir une stratégie cohérente et à long terme à l’égard de la nouvelle grande puissance mondiale. Leur intérêt propre – distinct des seuls intérêts chinois – le commande…