Sauf miracle, la courbe de la croissance sera tout aussi plate en 2016 qu’elle l’a été en 2015. A peine serait-elle un peu plus arrondie, contrairement aux prévisions de l’Institut d’émission et des autorités politiques. On se doutait bien que les estimations officielles péchaient par un excès d’optimisme.
Difficile, en effet, de remonter comme il a été dit en début d’année à 2,5%, sans qu’aucun indicateur d’activité ne le laisse pressentir : le moral des chefs d’entreprise est au plus bas ; l’agitation sociale, loin de faiblir, gagne même en intensité et en gravité, et rien ne semble arrêter l’envolée du chômage… L’ennui est qu’il n’y a pas de miracle en économie.
La croissance ne sera pas au rendez-vous cette année. Si ce n’est une croissance faible, atone, très molle et à peine perceptible. C’est ce qu’annonce, dans un document récent, la BERD, qui vient de réviser à la baisse notre taux de croissance ; il ne serait que de 1,6% en 2016 et vraisemblablement de 2,5% en 2017, contre des estimations officielles de 3,5% pour cette même année.
Triste constat, où l’on n’arrive pas à nous extraire d’une zone de dépression, à nous défaire d’une stagnation qui dure depuis plus de 5 ans. Au mieux, on serait à 1,6% en 2016. Il n’est pas exclu que l’on s’enfonce davantage dans les marécages de la récession, si le tumulte politique, les troubles sociaux, l’insécurité et l’incertitude qui désorientent les entreprises se poursuivent. Dans le meilleur des cas, la croissance du PIB ne dépassera pas le croît démographique qui semble, d’ailleurs, repartir de plus belle, revigoré par l’émergence de nouvelles valeurs véhiculées par l’irruption de l’Islam politique.
Envolées les promesses de la révolution ? Comparaison n’est pas raison. Il n’empêche, les dirigeants politiques sont prévenus. S’ils tardent à inverser la courbe de cette paupérisation de la société, tout peut arriver.
Le résultat est que tout au long des cinq dernières années, le niveau de vie moyen stagne quand il ne recule pas, accentuant ainsi le fossé des inégalités sociales. Pour mémoire, le revenu par habitant a plus que doublé au cours des deux dernières décennies, non sans susciter ressentiment et frustrations sociales. Envolées les promesses de la révolution ? Comparaison n’est pas raison. Il n’empêche, les dirigeants politiques sont prévenus. S’ils tardent à inverser la courbe de cette paupérisation de la société, tout peut arriver.
Cinq années pour rien ! Tout s’est même dégradé et tout a empiré. La croissance est rangée au placard des oubliettes, sans que rien ne laisse présager d’une reprise durable, voire d’un rebond. Le chômage explose et fait voler en éclats le sentiment de solidarité nationale. L’inflation n’a jamais été aussi élevée et met en péril la cohésion sociale. Les régions de l’intérieur restent privées, bien plus que par le passé, de réelles perspectives de développement.
Le terrorisme ne faiblit pas. Il nous fait perdre de précieuses vies humaines, des points de croissance et pèse lourdement sur le budget de l’Etat.
La corruption, autrefois tant décriée, se répand comme une traînée de poudre et étend ses ramifications dans toutes les sphères et les recoins de la société. Tout est impacté, intoxiqué, gangréné. Le pays est en train de se forger, à force de propagation de ce fléau, une triste réputation dans le monde, dont on aura bien du mal à s’en débarrasser. Et rien ne semble arrêter cette pandémie qui ronge la société. D’année en année, on se rapproche à chaque fois du bas du tableau du classement mondial. On n’est pas loin de côtoyer les pays où la corruption est érigée en règle de conduite. A croire que nous avons déjà perdu le sens de la vertu.
Triste palmarès dont nous gratifie l’ONG Transparency International : la Tunisie occupe le 76ème rang sur 168 pays et perd de nouveau trois places. Les instances en lutte contre la corruption ne savent plus à quel saint se vouer, ni comment s’y prendre contre ce monstre à plusieurs têtes, qui ravage tout sur son passage. Elles multiplient les constats accablants,les mises en garde, les mécanismes et instruments de lutte sans que rien n’arrête cette déferlante tentaculaire qui ne craint personne et qui ne recule devant rien, sans doute à cause de multiples et insidieuses complicités.
La corruption n’en est plus à « huiler le système », elle a fini par le gripper, le plomber jusqu’à nous faire perdre, aux dires des experts, plusieurs points de croissance et donc des milliers d’emplois. Le ministère créé à l’effet de combattre et de prévenir la corruption, l’Instance nationale de lutte contre la corruption, chargée de la traquer et de l’extirper à la racine, les lanceurs d’alerte, la société civile et les professionnels de l’économie sont horrifiés par tant de dégradation de nos moeurs et de nos valeurs morales. Ils crient à l’unisson leur colère, leur indignation et comme souvent, leur impuissance. On ne voit rien venir qui puisse sanctionner lourdement, sévèrement et servir d’exemple pour ce qui devrait être une véritable croisade contre la corruption.
Foin d’incantation et de déclarations de bonnes intentions, devenues au fil du temps, de simples alibis dont se nourrit paradoxalement la corruption. On ne s’étonne plus de la prolifération de cette bête immonde, servie par une cohorte d’agents corrompus de tout rang et d’affairistes voyous qui ne s’en cachent même plus. Ils jouent de leur influence, de leur puissance, de leur arrogance, comme pour s’arroger une impunité et s’exonérer de toute interpellation. La corruption, autrefois l’apanage d’une minorité, se démocratise. Elle s’incruste aux abords et au sein des entreprises et des institutions de l’Etat, là où se nouent et se dénouent transactions et prestations de services publics.
Les chefs d’entreprise, les jeunes et moins jeunes promoteurs, les commerçants n’en peuvent plus d’être rackettés, au même titre que les ménages usagers du service public. La corruption exerce une forme de violence « institutionnelle » et d’insécurité juridique, autant que le terrorisme. Ce n’est pas sans raison que les investisseurs locaux et plus encore étrangers ne se bousculent plus au portillon du site Tunisie, devenu peu attractif.
La corruption exerce une forme de violence « institutionnelle » et d’insécurité juridique, autant que le terrorisme. Ce n’est pas sans raison que les investisseurs locaux et plus encore étrangers ne se bousculent plus au portillon du site Tunisie, devenu peu attractif.
Seule issue : sévir, traquer ce monstre devenu si puissant qu’il évolue à visage découvert, brise les ressorts de l’économie et sape les fondements de notre socle républicain. On ne restaurera pas autrement l’autorité de l’Etat de droit. C’est ainsi et ainsi seulement qu’il sera possible de rétablir la confiance, de réhabiliter l’image de la Tunisie dans le monde, de relancer l’investissement, de redresser l’économie et au final, de réconcilier les Tunisiens avec les institutions républicaines, le secteur et service publics.
Toute autre attitude qui ne partira pas en guerre contre la corruption de manière frontale, courageuse, avec détermination, sans concession et ménagement, n’aura que des effets limités quand elle ne sera pas vouée à l’échec. Elle s’enlisera dans les méandres et les marécages de cette même corruption, sans parvenir à libérer l’investissement et à engager de nouveau le pays sur le sentier d’une croissance forte, durable et inclusive.
A défaut de sécurité juridique de l’investissement et sans extirper jusqu’à la racine toute trace de corruption, en attendant d’engranger les premiers résultats, l’action du gouvernement marquera le pas. Les réformes les plus audacieuses, le meilleur code d’investissement, la plus pertinente politique d’offre et les mesures d’incitations financières et fiscales, aussi importantes soient-elles, auront, dans ces conditions, des effets limités. Car ces mesures, si nécessaires soient-elles, ne sont pas exclusives à la Tunisie. D’autres pays, d’autres compétiteurs présentent des offres similaires et souvent de nature beaucoup plus attractive. Il faut chercher ailleurs les arguments d’un plus grand ralliement des investisseurs. L’univers patronal est plus sensible à la stabilité, à la sécurité de l’investissement et à la sécurité tout court.
Ce qui distingue aujourd’hui les nations en compétition, dans une économie mondialisée, au regard de la bourse des valeurs de l’investissement, c’est aussi et surtout leur capacité d’éradiquer la corruption et d’ériger la transparence en mode de gouvernance. C’est sur ces mêmes critères qu’il nous faut construire notre avantage compétitif. Et pas autrement.