Au cours d’une réunion extraordinaire qui s’est tenue le 28 mai dernier, la Ligue arabe a exprimé son soutien officiel à l’initiative française tendant à organiser une conférence internationale à Paris sur le conflit israélo-palestinien dont les négociations de paix sont au point mort depuis le printemps 2014 et l’échec de la dernière médiation du secrétaire d’Etat américain, John Kerry.
Au-delà de la nécessité d’ouvrir de nouvelles perspectives, la diplomatie française parie sur le dépassement du parrainage américain comme interlocuteur exclusif dans le face-à-face israélo-palestinien. Il est vrai que l’agenda politique américain joue en faveur de l’initiative française : non seulement le président Obama a délaissé ce dossier, mais il s’investit dans une campagne présidentielle à laquelle il n’est pas candidat et marquée par le spectre de Donald Trump…
Côté français, il s’agit ainsi de tirer les conséquences de l’impasse de toute négociation directe entre Palestiniens et Israéliens et d’insuffler une dynamique internationale. Côté arabe, non seulement le sujet demeure sensible, mais il symbolise à lui seul l’échec historique d’une organisation mue par une ambition originelle de nature panarabe. En réalité les uns et les autres ont historiquement fait montre de turpitudes et d’ambivalences au sujet de la question palestinienne.
La question palestinienne a été au cœur de la « politique arabe » de la France de De Gaulle (après la Guerre de Six jours en 1967) à Chirac (du moins durant son premier mandat). Un soutien diplomatique et financier qui s’est traduit par des gestes et des discours forts, y compris par François Mitterrand (qui a permis la fuite des dirigeants de l’OLP en 1982 face à l’avancée des chars israéliens au Liban, avant de recevoir officiellement Yasser Arafat à Paris en 1989, alors qu’il était encore banni de la communauté occidentale). On assiste néanmoins depuis la fin du second mandat de Jacques Chirac à une volonté de rapprochement politique en direction d’Israël qui s’est accompagné du refus de tirer les conséquences de la politique de colonisation/occupation développée par les gouvernements israéliens successifs. Il y a une tentation de tourner la page de la traditionnelle ligne gaullo-mitterrandienne reposant sur l’exigence d’une solution prônant deux Etats sur la base de négociations garantissant la sécurité (et donc l’existence) d’Israël et reconnaissant le droit du peuple palestinien à disposer de son propre Etat.
Après le quinquennat atlantiste de Nicolas Sarkozy, la présidence de François Hollande conforte cette tendance. Ainsi, lors de sa visite en Israël en novembre 2013, M. Hollande déclarait qu’il trouverait toujours « un chant d’amour pour Israël et pour ses dirigeants »… Dans la même lignée, lors du déclenchement de l’opération « Bordure protectrice », Paris a manifesté sa « solidarité » au gouvernement israélien en l’habilitant à « prendre toutes les mesures pour protéger sa population ». Le rappel du droit international exigeant une riposte proportionnée a été volontairement omis, ce qui a donné l’impression que la France soutenait de facto la stratégie martiale et agressive d’un gouvernement israélien, émanation d’une droite nationaliste dirigée par un acteur essentiel de l’échec du processus de paix, garant de la politique de colonisation : Benyamin Nétanyahou. Du reste, l’actuelle initiative française d’organiser une Conférence diplomatique internationale a reçu une fin de non recevoir pour le moins explicite du gouvernement israélien, un refus exprimé au moment où l’extrême droite fait à nouveau son entrée dans l’appareil exécutif…
Quant aux Arabes, les professions de foi pro-palestiniennes des discours officiels ne résistent pas à la Realpolitik. L’unité panarabe au nom de la « cause palestinienne » est plus rhétorique que réelle. Ainsi, les régimes autocratiques n’ont pas hésité à l’instrumentaliser dans leur confrontation avec Israël, pour asseoir leur leadership régional ou renforcer leur légitimité interne. L’absence ou l’inefficacité de la solidarité arabe a nourri le sentiment d’abandon des Palestiniens (exprimé par cette interpellation populaire : « Wen Al-‘Arab ? », où sont les Arabes ?). Ce sentiment remonte aux guerres israélo-arabes de 1948 et de 1967, mais il est ravivé en permanence par les difficultés d’une vie quotidienne soumise aux dispositifs coloniaux et sécuritaires israéliens. Pis, les Palestiniens ont été victimes de massacres – en Jordanie [« Septembre noir », (1970) et à « Sabra et Chatila » au Liban (1982)], perpétrés par des soldats ou miliciens arabes. Ils ont été l’objet d’expulsions de pays arabes (du Golfe en 1991, de Libye en 1995). Leur simple présence dans des pays arabes, comme réfugiés (Liban, Syrie, Jordanie) ou immigrés (dans les pays du Golfe), pèse encore aujourd’hui sur les équilibres démographiques, politiques et sociaux de sociétés arabes dans lesquelles ils sont soumis à un régime juridique plus ou moins discriminatoire (à l’exception de la Jordanie).
Si l’aspiration unitaire a permis la naissance de la Ligue arabe, l’absence de cohésion politique et la prévalence des logiques d’intérêts nationaux sur le principe de solidarité arabe ont empêché toute dynamique politique efficace en faveur du peuple palestinien. Aussi, la Ligue arabe se voit-elle concurrencée par des organisations (pan)islamique (OCI) et des Etats non arabes (Turquie et Iran), qui tentent d’investir la « question palestinienne » dans leur stratégie de conquête du leadership dans le monde musulman.