A l’occasion d’un atelier organisé par l’Association tunisienne pour la gouvernance locale sur la vulgarisation de l’initiative de la transparence dans les industries extractives (EITI), leconomistemaghrebin.com a interviewé Madame Aïcha Karafi, présidente de l’Association et l’une des formatrices de l’atelier. Il est à noter que la Tunisie n’a pas encore formellement adhéré à l’initiative de la transparence.
Comme son site officiel l’indique, l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE) est « une norme mondiale visant à promouvoir une gestion ouverte et responsable des ressources naturelles.
L’ITIE cherche à renforcer les systèmes des gouvernements et des entreprises, informer le débat public et améliorer la confiance. Dans chaque pays intéressé par cette initiative, l’ITIE est soutenue par une coalition composée de représentants du gouvernement, des entreprises et de la société civile qui œuvrent ensemble. Lancée en 2002, seuls 46 pays répondent aux normes de l’initiative.
leconomistemaghrebin.com : Est-t-il nécessaire d’organiser une formation qui porte sur la transparence dans les industries extractives ?
Aïcha Karafi : Tout à fait, c’est un sujet très important. Comme vous le savez, la Tunisie a adhéré à Open Gov partnership (OGP) et la transparence dans les industries extractives peut faire partie de l’OGP. D’ailleurs la Tunisie a établi un premier programme qui s’étale de 2012 à 2014 comportant 20 engagements dont l’engagement numéro 18 qui porte sur la transparence dans les industries extractives.
D’autre part, nous avons constaté que les citoyens posent plusieurs questions mais ne semblent pas en saisir toutes les données. S’ajoute à cela le déficit de confiance entre les citoyens et l’Etat. Ainsi par ce genre de formation nous voulons sensibiliser les gens et leur faire comprendre les données que communique le gouvernement sur les industries extractives. Je tiens à préciser que la transparence fera revenir la confiance entre le gouvernement et les citoyens.
Cependant le flou règne sur les industries extractives. D’une part, nous avons la société civile qui met en doute la transparence de l’Etat et d’autre part, les organismes de l’Etat qui affirment appliquer les règles de la transparence. Comment jugez-vous cette situation ?
Je peux me permettre de vous dire que nous sommes sur le bon chemin. Déjà après le premier plan de l’OGP, nous avons franchi des pas très importants. Je tiens à rappeler que l’un des engagements qui figure dans l’OGP est le budget ouvert.
Au niveau du ministère des Finances, il existe une rubrique appelée Mizaniyatouna (Notre budget). Il s’agit d’un tableau Excel croisé. L’internaute peut en faire la requête et aura ainsi accès au budget qui l’intéresse.
Si la Tunisie adhère à l’initiative de la transparence dans les industries extractives, elle s’engagera à publier tous les contrats relatifs à l’industrie extractive. Si tous les contrats sont publiés, les citoyens pourront vérifier si les chiffres annoncés par le gouvernement sont vrais ou pas. Déjà, cette semaine, nous avons pu consulter les contrats pétroliers que le ministère de l’Energie et des Mines a publiés sur le site.
Mais faut-t-il vraiment que la Tunisie fasse partie de l’initiative de la transparence dans les industries extractives ?
Tout à fait c’est dans un souci de transparence que l’intégration à cette initiative doit se faire. Que le gouvernement dise qu’il est transparent et qu’il a publié les contrats, cela n’est pas suffisant parce que si la Tunisie adhère à l’initiative, elle va publier les quantités produites, les revenus, comment le rendement a été géré et s’ajoute à cela la préparation d’un rapport contenant tous les détails. En plus, un contrôle par des spécialistes nationaux ou internationaux sera fait sur la véracité des données qui figurent dans le rapport. S’il s’avère qu’il existe une information fausse ou inexacte, le pays risque d’être exclu de l’initiative.
A propos, que pensez-vous de la publication des contrats pétroliers sur le site du ministère de l’Industrie, de l’Énergie et des Mines ? Une revendication réclamée depuis des années. Pour vous c’était attendu ?
Oui c’était attendu. Bien avant la réalisation de cette revendication, plusieurs actions ont été menées dans ce sens là. Nous avons fait beaucoup de forcing et beaucoup de lobbying afin qu’il soit répondu aux attentes des citoyens. Maintenant je considère que c’est un grand pas vers la transparence. Puisque les contrats sont publiés, si un activiste de la société civile a des doutes, sur la véracité des données ou sur la méthodologie utilisée, il peut présenter des réclamations.
Faut-t-il publier tous les contrats pétroliers avec tous les détails ?
Concernant la publication, il y a deux façons de procéder. Soit, on publie le contenue intégral des contrats pétroliers qui est un contenu volumineux et dans ce cas ce n’est pas sûr que les gens peuvent comprendre. Soit on se contente de ne publier que les éléments qui intéressent les gens. Par exemple, la technologie utilisée ne peut pas être publiée étant donné que c’est un secret professionnel. D’ailleurs, dans la loi organique d’accès à l’information, il existe des exceptions où il n’est pas possible de donner l’information. Il y a des particularités pour chaque contrat rattachées au mode d’exploitation et la façon d’exploiter. Puisque c’est un secteur concurrentiel, l’entreprise ne doit pas divulguer ses procédés à ses concurrents.
Revenons à l’initiative de la transparence dans les industries extractives, vous voulez lancer un plaidoyer pour que la Tunisie en fasse partie ?
Tout à fait et pour cette raison, j’envisage de lancer des actions dans plusieurs régions afin de sensibiliser les citoyens. Nous envisageons d’aborder le thème de la fiscalité pétrolière et les types de contrats pétroliers. Nous envisageons aussi de lancer un plaidoyer pour la refonte du code des hydrocarbures.
Certains disent que l’octroi des contrats pétroliers doit rester la prérogative de l’Assemblée des représentants du peuple. D’autres pensent au contraire qu’il faudrait l’accorder à « une commission indépendante » pour éviter les éventuelles tractations politiques. Qu’en pensez-vous ?
En tant que présidente de l’association, je pense que si on adhère à l’initiative de transparence dans les industries extractives, si l’Etat publie tous les contrats, si le Code des hydrocarbures sera mis à jour tout en veillant à ce qu’il soit appliqué, nous n’aurons plus besoin de passer par l’ARP. Et ça doit être examiné par des spécialistes. Si cette méthode sera adoptée, ce jour là, il faudra penser à comment former cette commission.