Après une campagne affreuse, sale et méchante, les Britanniques iront finalement ce jeudi 23 juin aux urnes pour décider s’ils resteront ou non dans l’Union européenne où ils avaient fait leur entrée il y a 43 ans.
L’extrême-droite britannique a réussi à détourner la campagne de son sujet principal, les avantages et les inconvénients de l’appartenance à l’Union européenne, et à l’engager sur le terrain marécageux de l’immigration et des différences ethniques et culturelles.
Les « Europhobes » de l’UKIP (United Kingdom Independence Party)- un parti d’extrême droite- ont largement exploité la campagne pour s’en prendre non seulement à l’Union européenne, « un boulet dans le pied britannique », mais aussi aux citoyens d’origine étrangère (Arabes, Africains, Pakistanais, Asiatiques etc.) considérés comme un danger pour la Grande Bretagne et sa « culture blanche ».
Plus qu’Europhobes, les Britanniques d’extrême droite sont des xénophobes. Ils ne reconnaissent pas la citoyenneté des Britanniques d’origine étrangère. Ils soutiennent que « leurs cultures, leurs croyances et leurs valeurs sont aux antipodes des nôtres ».
L’un des procédés choisis par l’UKIP est « d’une répugnance sans précédent », comme l’a qualifié une partie de la presse britannique. Il montre un immense poster dans lequel on voit une très longue file de réfugiés syriens à la frontière de la Slovénie, avec en gros plan la photo du dirigeant du parti extrémiste UKIP, Nigel Farage, qui les montre du doigt en affirmant : « Nous avons atteint le point de rupture » !
Même la Turquie n’a pas été épargnée de la campagne. Les Europhobes, exploitant sa demande d’adhésion à l’UE, ont appelé à voter « pour la sortie de l’UE avant que les Turcs n’y entrent ». Répondant à cette démagogie par une autre, le très europhile Premier ministre, David Cameron, a tenté de rassurer les Britanniques inquiets en jurant que « la Turquie ne sera pas membre de l’Union européenne avant l’an 3000 »…
Mais cette campagne d’un niveau lamentablement bas s’est vite transformée en une tragédie avec l’assassinat en plein jour et dans la rue de la parlementaire Joe Cox par un illuminé d’extrême droite qui, après l’avoir poignardée plusieurs fois, l’a achevée en tirant sur elle plusieurs balles et en criant « Britain first » (La Grande Bretagne d’abord).
La jeune parlementaire a été assassinée parce qu’elle défendait les immigrés et les réfugiés. Elle a été tuée parce qu’elle considérait les immigrés comme une richesse pour la Grande-Bretagne et estimait que les cultures étrangères, loin de menacer la culture britannique, l’enrichissent. Quelques jours avant sa mort violente, elle a fait un discours devant le Parlement britannique dans lequel elle a affirmé notamment : « Notre pays a énormément bénéficié de l’immigration. Qu’il s’agisse de celle des catholiques irlandais ou celle des musulmans de Gujarat en Inde ou du Pakistan. Alors que nous célébrons notre diversité, ce qui me surprend quand je fais le tour de ma circonscription est que nous sommes très unis, et que ce que nous avons en commun est bien plus grand que les choses qui nous séparent. »
Visiblement, c’était beaucoup plus que ne puissent supporter les illuminés de l’extrême droite britannique qui l’ont condamnée à mort et exécuté leur sentence.
Il faut dire que la classe politique britannique, qui défend le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’Europe, n’a pas su éviter le piège tendu par l’extrême-droite. Pensant couper l’herbe sous les pieds des Europhobes, elle a fait campagne sur le thème de la limitation de l’immigration, contribuant ainsi à la dénaturation du référendum qui risque de se transformer en plébiscite sur l’immigration et les immigrés.
Le vrai sujet lié aux avantages et inconvénients de l’appartenance à l’Union européenne a été escamoté et rares sont ceux qui ont abordé les répercussions économiques et financières sur l’économie britannique et donc sur le niveau de vie du citoyen.
Des sujets d’une importance capitale pour l’unité et l’intégrité même de la Grande Bretagne n’ont pratiquement pas été discutés. Par exemple, quelles sont les répercussions d’une éventuelle sortie de l’UE sur un nouveau référendum que tentent d’organiser les séparatistes écossais? Rappelons qu’il y a moins de deux ans, un référendum a été organisé sur le maintien ou non de l’Ecosse au sein du Royaume-Uni. Le « oui » l’a emporté à une très courte majorité. Une éventuelle sortie de l’UE de la Grande-Bretagne n’aura-t-elle pas un effet de boomerang en apportant de l’eau au moulin des séparatistes écossais?
De telles inquiétudes sont répandues en Europe où l’on craint qu’une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’UE ne provoque un effet domino et n’aiguise la volonté séparatiste des Europhobes dans d’autres pays comme la Hollande, le Danemark ou encore la Tchéquie. Dans un article publié par la Documentation française, Pauline Schnapper, professeur de civilisation britannique contemporaine à la Sorbonne, estime qu’un Brexit « créerait un précédent dans lequel d’autres pays risqueraient de s’engouffrer, soit en organisant à leur tour un référendum, soit en usant de chantage, en brandissant cette menace si Bruxelles ne cédait pas à leurs exigences. La crainte dans beaucoup de capitales européennes est donc qu’un Brexit soit la première étape d’une désintégration progressive du projet européen », conclut Madame Schnapper.
Pourtant, ce projet européen qui a permis au Vieux Continent de vivre sans guerre pendant plus de sept décennies est l’objet d’une admiration universelle…
Le quotidien britannique The Guardian, qui fait campagne pour le maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’UE, a posé les bonnes questions à ses lecteurs : « Qui sommes-nous et qui voulons-nous être? Sommes-nous si différents des autres que nous ne pouvons pas nous soumettre aux mêmes règles et aux mêmes lois qu’eux ? Sommes-nous un membre d’une famille de nations ou un pays qui préfère se replier sur lui-même et verrouiller sa porte? » Réponse à ces questions vitales pour la Grande-Bretagne et pour l’Europe le jeudi 23 juin.