Le président de l’Organisation de défense du consommateur (ODC), Slim Saadallah a accordé une interview exclusive à leconomistemaghrebin.com dans laquelle il revient sur le bilan de la première moitié du ramadan, le comportement du consommateur, les plaintes et les prix. Interview.
Leconomistemaghrebin.com : Quinze jours se sont écoulés depuis le début du mois de Ramadan. Quel constat faites-vous?
Slim Saadallah : L’ODC a commencé son travail bien avant le début du ramadan en partenariat avec différents ministères, en particulier le ministère du Commerce et le ministère de la Santé. Deux jours avant le mois de Ramadan, plusieurs réunions ont été tenues, surtout que la consommation connait une hausse considérable pendant ce mois, pour voir s’il existe un manque au niveau des produits alimentaires dans les régions.
L’offre est disponible et il n’existe pas de pénurie. En effet, le tourisme est en berne, les Libyens sont de retour chez eux et les activités de contrebande connaissent un manque à gagner considérable. Pour toutes ces raisons, la production est restée sur le terrain tunisien.
Par ailleurs, le ministère du Commerce a préparé des réserves pour les produits alimentaires de base (œuf, eau minérale, lait et autres). Pour toutes ces raisons, l’ODC a estimé que les prix connaitront une baisse par rapport au Ramadan 2015.
Lors de différentes interventions radiophoniques, nous avons lancé des appels aux consommateurs pour qu’ils évitent l’avidité puisque tout est disponible, surtout dans les cinq derniers jours précédents le mois saint. Car, les spéculateurs et ceux qui pratiquent la vente conditionnée comptent sur ce penchant pour exploiter les consommateurs.
Malgré nos appels, une ruée sur les produits a eu lieu les cinq jours qui ont précédé le mois de Ramadan et les trois jours qui ont suivi. Cela a causé une hausse des prix considérable (fruits, légumes et d’autres).
Je lance un nouvel appel aux consommateurs : « Votre organisation vous conseille d’acheter vos provisions d’une manière raisonnable et avec modération. Les produits sont mieux dans les grandes surfaces ou les épiceries qu’à s’entasser chez vous. Sachez que tous les produits sont disponibles et que rien ne justifie cette avidité ».
Les premiers quinze jours ont été marquées par la hausse des prix surtout le prix des tomates et des piments. Cette augmentation considérable s’est faite dans une période où les Tunisiens utilisent beaucoup de ces légumes.
Il existe un problème relatif aux circuits de distribution. Lors d’une visite que j’ai effectuée au marché de gros de Bir El Kassââ, il a suffi d’un coup d’œil pour avoir l’impression que les produits existent sans problème. Mais je dois rappeler que 40% des produits se vendent dans le circuit officiel et 60% hors des circuits officiels de vente, d’après nos études.
Si tous les produits passent par le circuit officiel, cela contribuera à la baisse des prix. S’ajoute à cela que les spéculateurs achètent les légumes et les fruits des petits agriculteurs bien avant qu’ils ne débarquent aux marchés du gros.
A supposer que toutes les quantités de tomates passent par le marché de gros et qu’aucune quantité ne passe par les circuits parallèles, le kilogramme de tomates atteindra 550 millimes.
D’ailleurs, depuis 2012, nous revendiquons un contrôle rigoureux des circuits de distribution étant donné que les circuits parallèles et les spéculateurs causent une hausse considérable des prix.
Vous venez de dire que l’avidité est l’une des raisons pour lesquelles les prix augmentent. Pourquoi ne pas essayer de boycotter les produits chers? Qu’en dit l’organisation?
Cette idée ne date pas d’hier, l’idée a été lancée pour la première fois en 2013, suite à une concertation avec le bureau national de l’organisation. A l’époque les prix des viandes rouges ont connu une hausse considérable. A l’époque nous avions annoncé que nous allions boycotter les viandes rouges pendant trois jours (vendredi, samedi et dimanche) à travers les médias. Notez bien que pendant ces trois jours la consommation des viandes rouges connait une hausse étant donné que c’est la fin de la semaine où généralement la famille tunisienne se réunit. Résultats : dans quelques zones, le taux de boycott à atteint 90% et c’est la classe aisée qui a réalisé ce boycott. A l’étude de quelques cas de bouchers, il s’est avéré qu’ils n’ont vendu, pendant cette période que 10% de ce qu’ils vendaient avant.
Actuellement, les conditions de l’organisation sont difficiles, autrement nous aurions pu faire des spots pour encourager les Tunisiens au boycott quand il le faut, des groupes sur terrain pour mener un travail de sensibilisation leur expliquant que le consommateur est capable de réguler le prix des produits en le boycottant. C’est le consommateur qui détient tout. Mais le consommateur tunisien est l’otage des coutumes et de la tradition qui l’empêche de se lancer dans le boycott.
Le ministère du Commerce a fait savoir, dans un communiqué rendu public le 16 juin, qu’il a effectué plusieurs opérations de contrôle économique.
Les brigades de contrôle économique sont en train d’assumer un rôle de contrôle. Là, il n’y a aucun doute. Mais examinons les chiffres. Le ministère du Commerce parle de 5126 infractions économiques suite à 36721 opérations de contrôle depuis le mois de Ramadan et de 541 infractions enregistrées après 3938 opérations de contrôle au cours du dixième jour. Une question se pose alors : quel intérêt pour le citoyen si le commerçant, auteur de l’infraction, a déjà intégré le montant de l’infraction dans ses pertes (50 ou 100 dinars)? Que faire s’il a pris l’habitude de considérer le montant de l’infraction dans ses dépenses habituelles? Nous constatons que les actions des bridages de contrôle économique sont en cours mais que les auteurs d’infractions continuent quand même de récidiver.
Bien évidemment, c’est le citoyen qui en subit les conséquences. Je considère qu’il faut recourir à des sanctions répressives et lourdes comme la confiscation de la marchandise ou la fermeture de la boutique et la dénonciation publique de l’auteur de l’infraction. Maintenant, grâce aux réseaux sociaux et aux médias, il est possible de tout filmer.
Mais, nous devons reconnaitre que le nombre des agents du contrôle économique reste insuffisant pour le moment. Les 600 agents, dont la moitié travaille sur le terrain, dans des conditions difficiles (manque d’équipements…), ne sont pas à l’abri de la violence physique et morale lors de l’exercice de leur fonction. Nous recommandons l’augmentation du nombre des opérations de contrôle, plus de rigueur et de fermeté avec les auteurs des infractions.
L’ODC a reçu des plaintes pendant le mois de Ramadan?
Pour le moment nous n’avons pas calculé le nombre des plaintes, mais quand même il y en a. S’il y a un point noir pendant le mois de Ramadan, c’est bel et bien concernant l’huile subventionnée. Pourtant, le ministère du Commerce est intervenu en injectant plus que 3000 tonnes d’huile subventionnée sur le marché. Et les agents de contrôle économique ont pris la peine d’informer les citoyens de l’existence de l’huile subventionnée devant les espaces de vente et les épiceries alors que cette tâche ne leur incombe pas.
Quels sont les préparatifs de l’organisation pour l’Aïd, surtout avec la dégradation du pouvoir d’achat du tunisien et la chute du dinar tunisien?
Pendant la deuxième moitié du ramadan, nous allons nous focaliser sur le contrôle des jouets pour enfants en vente dans les circuits parallèles. Je dois rappeler que ces jouets ne répondent pas aux normes exigées par le ministère de la Santé. On ne connait même pas leur composition. Si un enfant est victime d’accident à cause de ce genre de jouet, nous ne pouvons même pas contacter le vendeur ambulant qui l’a vendu.
En ce qui concerne les gâteaux de l’Aïd, je conseille aux consommateurs d’acheter leurs gâteaux dans des points de vente officiels pour éviter la fraude, les prix excessifs qui ont été détectés auparavant. Je conseille aux femmes de préparer leurs gâteaux de l’Aïd elle-même pour garantir la propreté et faire des économies.
Sur un autre volet, force est de constater les informations sur les infractions de santé. Est ce que la santé du citoyen est réellement en danger?
Nous avons appelé ce phénomène « le terrorisme alimentaire ». Il faut reconnaitre que ce phénomène a pris de l’ampleur après le 14 janvier 2011. Oui il existe des lobbies des viandes rouges et tout le monde les connait. De même, dans les 24 gouvernorats, aucun abattoir municipal n’est aux normes du ministère de la Santé et de l’association des vétérinaires.
L’ODC a demandé de réhabiliter les abattoirs municipaux. Le ministère du Commerce et le ministère de l’Agriculture se sont engagés à le faire, mais rien n’a été fait pour le moment. Nous demandons cette réhabilitation afin qu’elle fournisse un produit propre, répondant aux normes d’hygiène.
Un dernier message à adresser aux consommateurs?
Éviter à tout prix les circuits de distribution parallèle qui présentent un grand danger pour la santé des consommateurs. Ainsi nous protégeons la santé de nos familles et de nos enfants. Cela permettra de booster l’économie tunisienne déjà en berne. Je considère qu’il s’agit de la mère de toutes les batailles.