Les tractations politiques et l’initiative relative à la formation d’un gouvernement d’union nationale ne sont pas sans impacter l’économie tunisienne.
La Tunisie s’apprête à de nouvelles concertations avec la participation de tous les acteurs politiques afin de former un gouvernement d’union nationale. Quel serait l’impact sur l’économie? Le président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie (OECT), Nabil Abdellatif, nous livre sa pensée.
Politique et économie sont intimement liées
Généralement, dans une période de transition politique, l’économie connaît des difficultés en attendant la stabilisation politique du pays et la fin de la période de la transition. Autrement dit, tout ce qui se fait au niveau politique aura des répercussions sur l’économie qu’elles soient positives ou négatives. Nabil Abdellatif a rappelé que plusieurs pays qui connaissent une vieille tradition démocratique peuvent rester pendant une période sans gouvernement sans que cela impacte négativement leur économie. « Parce qu’il n’existe pas un questionnement sur le modèle économique, les fondements économiques fonctionnent sans problème », explique-t-il.
Et pour le cas de la Tunisie?
Pour le président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie (OECT), la Tunisie ne déroge pas à cette règle économique . « S’il y a des événements qui ont aidé le pays, d’autres ont entravé le bon déroulement des choses », déclare-t-il. Au commencent, la Tunisie, suite aux événements du 14 janvier 2011, a reçu des dons, d’autres ont fait des promesses. « Cependant plus tard, il s’est avéré que plusieurs pays n’ont pas tenu leurs promesses alors que plusieurs partis politiques comptaient sur ces promesses des pays du Golfe ou du G7 pendant les élections », dit-il.
Plus tard, avec l’adoption de la Constitution par l’Assemblée nationale constituante et puis l’obtention du prix Nobel de la Paix, un élan nouveau a été donné à l’économie. Et même après la présidentielle de 2014, il y avait de grandes attentes de la part des Tunisiens, en premier lieu suite aux promesses électorales et en second lieu parce que le pays a connu un nouveau mode de pouvoir avec la présidence tricéphale. « Avec ce régime parlementaire, il est supposé exister une certaine autonomie pour l’économie. Une faute a été commise, c’est l’annulation du Conseil économique et social. Ainsi il n’existe plus un porte-étendard qui soit une force de suggestion face au législateur », ajoute-t-il.
Pour mesurer la force d’un parlement, il faut se référer au nombre et à la qualité des lois qu’il a adoptées par an. D’après le spécialiste, la Tunisie et le Maroc sont les pays dont les projets de loi ont des coûts exorbitants, mais avec l’efficacité en moins pour la Tunisie, vu que ces projets de loi ne satisfont pas aux attentes des Tunisiens.
Une conjoncture qui rappelle bien d’autres…
La situation actuelle rappelle celle de 1986 pour notre interlocuteur : des ministres nommés, d’autres qui partent. « Jusqu’à maintenant, le pays a connu sept gouvernements à un rythme d’un ministre des Finances tous les ans ce qui est contre-productif pour l’économie tunisienne. S’ajoute à cela la chute du dinar et le manque des réserves en devises. Et de rappeler que dans ces situations le pays en crise fait appel au FMI. Tel était le cas en 1986.
A ce sujet, Nabil Abdellatif a indiqué qu’il faut un bon négociateur pour mener à bien les négociations avec le FMI, afin d’éviter les répercussions négatives des accords signés, car si le négociateur tunisien ne fait pas le poids, il sera obligé malgré lui d’accepter des conditions qui risquent de déboucher sur des tensions sociales. M. Abdellatif a précisé que le FMI a été remboursé par anticipation et depuis les années 90 la Tunisie n’a pas fait appel à lui, et ce jusqu’à 2012. « Il suffit de lire la lettre d’intention signée par le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie à l’attention de la directrice du FMI pour se dire que le Président de la République n’a même pas été averti et sensibilisé sur l’ampleur et l’importance des engagements pris par la partie tunisienne », précise M. Abdellatif.
A tous ces éléments, vient s’ajouter l’accord de 95 qui exige le démantèlement tarifaire et qui a été prolongé jusqu’à 2008 grâce à l’habileté du négociateur tunisien. Mais à présent, la Tunisie subit des pressions pour l’ALECA. « J’appelle le négociateur tunisien à extraire tout ce qui est positif dans l’ALECA et à œuvrer de son mieux pour la prolongation des délais des engagements, surtout que la situation de l’économie tunisienne ne supporte pas une ouverture rapide sur les autres marchés », a-t-il ajouté.
Quelles chances pour la réussite de l’initiative présidentielle ?
Tout en reconnaissant que l’Initiative du président de la République de former un gouvernement d’union nationale désavoue le gouvernement actuel, il affirme qu’elle comporte un point positif : « Si l’initiative réussit, elle va nous épargner l’arrière-saison 2016 qui s’annonce très agitée surtout que les indicateurs sont en baisse et vont encore baisser et que le gouvernement actuel ne dispose pas de feuille de route claire. Ainsi, je considère que c’est un gouvernement de gestion des affaires courantes. »
Dans le même contexte, il a affirmé que tous les observateurs sont unanimes sur le départ du gouvernement actuel, mais la différence est liée au timing du départ. Certains estiment qu’il doit quitter après avoir préparé les élections municipales et d’autres estiment qu’il doit partir au mois de septembre.
Devant cette situation, les intentions d’investissement et plusieurs initiatives demeurent en suspens jusqu’à la formation du nouveau gouvernement. Nabil Abdellatif a estimé que le prochain gouvernement doit être choisi et doit commencer son travail avant la fin du mois de juin et profiter des trois mois d’été pour faire un diagnostic et établir ses priorités pour les premiers cents jours. Cela dit, le prochain gouvernement doit procéder à un audit exact de la situation socio-économique du pays.
Pour lui, le plan de sauvetage du prochain gouvernement doit être orienté vers des opérations chirurgicales bien ciblées à court terme et d’autres réformes qui doivent être renforcées avec plus de sérieux avec un négociateur en interne avec le gouvernement et avec les étrangers.
Mais quelle composition et quelles priorités pour le prochain gouvernement?
Nabil Abdellatif a rejeté l’idée que l’organigramme du prochain gouvernement soit tributaire des tractations politiques : « Il doit être pragmatique », lance-t-il. L’organigramme du gouvernement doit être efficace et efficient à la fois d’après le président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables de Tunisie (OECT). « L’idée de fusionner ou de diviser un ministère ayant son propre programme, budget, ses moyens logistiques et ses procédures est une faute monumentale ». Et de proposer que les ministères gardent l’organigramme actuel tout en travaillant avec synergie avec les autres ministères, en attendant la grande réforme administrative qui viendra dans trois ou quatre ans.
Le spécialiste a indiqué que le pays n’a pas besoin de personnes qui n’ont aucune relation avec le contexte tunisien. Selon lui, recourir à des ministres pareils revient à compliquer la prise de contact avec les Tunisiens.
En ce qui concerne les priorités que le nouveau gouvernement doit adopter : selon lui, il devrait opter pour des décisions rapides, avec un impact tangible et palpable dans l’immédiat. Parmi les actions urgentes, le spécialiste propose : raviver la commission entre la Banque centrale et le gouvernement dont la mission est de suivre la situation du dinar tunisien et lui rendre son équilibre. « Si cette mesure n’était pas adoptée, il existerait un risque que l’euro atteigne la contre-valeur de trois dinars, ce qui est très dangereux pour l’économie. ».
En plus, adopter une loi de finances complémentaire est la première des actions que le gouvernement doit prendre. Nabil Abdellatif a justifié cette action par le fait que la loi de finances actuelle a été faite sur un taux de change de 1,97 ce qui est un taux obsolète pour le moment et un taux de croissance de 2,5%; or le pays n’a pas encore généré ce taux de croissance avec des recettes fiscales en baisse.
Il faut reconquérir la confiance et l’adhésion de différents intervenants politiques et sociaux, notamment par l’instauration du Conseil économique et social et du Conseil national du dialogue social. « Après l’instauration de ces deux conseils il n’y aura plus besoin de mobiliser le quartet à chaque crise », indique-t-il.
La création de l’Agence indépendante de financement et d’endettement public permettra de financer le plan quinquennal qui doit se transformer en plan triennal et faire un audit sur toute la dette de la Tunisie et elle doit être le seul organisme capable de contracter des emprunts auprès de la République tunisienne et d’assumer la soutenabilité de la dette aussi bien que son efficacité.