A l’occasion de la publication hier du Baromètre 2016 des entreprises en Tunisie sur le moral, préoccupations et perspectives des dirigeants d’entreprises en Tunisie, leconomistemaghrebin.com a interviewé pour vous Sami Zaoui, Associé Advisory Services, EY Tunisie. Entretien…
leconomistemaghrebin.com : Pourriez-vous nous rappeler en deux mots, s’il en est besoin, qui est EY?
Sami Zaoui : Tout d’abord, au nom d’EY Tunisie, je tiens à vous remercier de votre intérêt et de nous donner l’occasion de partager autour d’un évènement que nous considérons incontournable.
Un bref rappel s’il en est besoin : AMC EY en Tunisie rassemble plus de 220 professionnels, de l’audit, du Conseil en Management, des Transactions, de la Fiscalité et Assistance aux Entreprises, pour proposer un large éventail de services professionnels et innovants aux entreprises. Nous sommes très actifs dans le monde des affaires aussi bien par nos missions que nos publications concernant des sujets très divers.
Justement, ce qui vous amène aujourd’hui concerne le « Baromètre 2016 des entreprises en Tunisie ». De quoi s’agit-il?
Il s’agit de la quatrième édition du Baromètre des Entreprises en Tunisie (après les éditions de 2011, 2012 et 2014), document référence périodique, qui a pour but de scruter le moral, les préoccupations et perspectives des dirigeants d’entreprises. Ce baromètre 2016 exprime et analyse les témoignages des chefs d’entreprises et leaders d’opinions sur la situation économique actuelle et le contexte d’ensemble durant cette période de transition mouvementée que connaît notre pays.
Le Baromètre s’articule autour d’une double analyse :
- La synthèse sur toute la durée de l’année 2015, de la vie des entreprises en Tunisie, suivant plusieurs lignes directrices résumées dans ce document.;
- L’analyse de la perception et des attentes des dirigeants d’entreprises et leaders d’opinions pour 2016 aussi bien de la sphère politique que des acteurs de la société civile et représentants du syndicat et du patronat.
Nous avons structuré notre enquête sur quatre leviers :
- Situation et perspectives commerciales;
- Situation interne liée aux processus opérationnels;
- Stratégie d’investissement et création d’emplois;
- Conjoncture externe.
Pour cette édition, l’étude a touché plus de 120 dirigeants et chefs d’entreprises de plus de 88 groupes et entreprises représentant plus de 130 000 salariés et un chiffre d’affaires cumulé de 16 000 Millions de dinars.
A noter que le panel de participants ne cesse d’augmenter d’année en année, ce qui traduit la forte implication des dirigeants d’entreprises et leaders d’opinions dans la situation / devenir politico-économique du pays!
Quels enseignements à tirer sur chacun de ces chapitres?
Le baromètre aborde en premier lieu la situation et les perspectives commerciales. Depuis 2011, l’actualité politique et sécuritaire du pays n’a pas laissé de place à une reprise effective. Cinq ans après, les signes d’essoufflement sont visibles dans l’évolution du chiffre d’affaires et dans les perspectives commerciales. Ce glissement accentue les extrêmes des pyramides de nos illustrations si l’on compare les résultats de 2016 à ceux de 2014. C’est le cas de l’évolution du chiffre d’affaires où les extrêmes des pyramides, en forte hausse et en forte baisse, ont sensiblement augmenté. Il en est de même pour les perspectives commerciales. Les gagnants nous donnent des raisons de cultiver notre optimisme, les entreprises en difficultés nous rappellent à plus de vigilance pour la période à venir.
La situation interne de nos entreprises concernant les processus opérationnels est quant à elle bien mitigée. Si les processus supply chain connaissent une bonne évolution et que le climat interne tend à se stabiliser, la trésorerie, bien qu’affichant une évolution positive, demeure menacée par la fluctuation des cours de change et des encours clients.
Les perspectives d’évolution de la situation interne sont nettement moins optimistes qu’en 2014. Les entreprises trouvent des difficultés à recruter des cadres expérimentés et juniors. Nos dirigeants insistent sur la résilience de leur business, mais cette tendance se trouve dépréciée par rapport à 2014.
L’intérêt national doit primer sur les intérêts corporatistes et le climat d’affaires doit être amélioré, ce qui donnera des ailes à nos valeureuses entreprises.
Les entreprises tunisiennes se renforcent donc en interne en misant sur des revues de la stratégie et des optimisations des processus, mais la conjoncture tend à les rattraper et à étouffer leurs élans.
Le troisième sujet a trait aux stratégies d’investissement et aux créations d’emplois. Les entreprises implantées en Tunisie font preuve d’une véritable soif d’investissement. Elles déclarent maintenir ou accroître leur investissement, et ce, qu’elles soient tunisiennes ou étrangères. Mais ce qui est marquant est que ces intentions sont appuyées par des visions stratégiques précises. L’Afrique sub-saharienne apparaît comme une terre d’expansion d’activité pour de nombreuses entreprises, rejoignant ainsi le Maghreb. Par ailleurs, les projets d’investissement des entreprises sont étayés par des réflexions approfondies sur la manière de les conduire ou de les financer : partenariat, croissance externe, introduction en Bourse, … sont au cœur des ambitions des entreprises.
La conjoncture externe est le dernier thème abordé par le baromètre, mais il est loin d’être le moins important. Aux yeux de nos dirigeants, la situation politique, économique et sociale de la Tunisie est mauvaise. Ils étaient plus de 80% à estimer que la situation était mauvaise ou plutôt mauvaise en 2014. Malgré la tenue d’élections et une stabilité relative au pouvoir, les hommes et femmes d’affaires déplorent un manque de visibilité persistant et l’absence d’une vision stratégique. Le regard porté sur la situation économique et sociale est également sévère, exprimant ainsi une véritable impatience.
Lors de la conduite de l’enquête du Baromètre, les dirigeants n’ont cessé d’appeler les gouvernants à la prise de décisions afin de sortir le pays d’une stagnation qui a assez duré, insistant au passage sur la nécessité d’agir d’urgence contre le marché parallèle et la corruption, causes principales de ralentissement de l’évolution économique et sociale du pays selon eux. Ils expriment leurs attentes de façon très explicite, en mettant la mise à niveau des services de l’administration en tête.
Si nous pouvions faire une synthèse globale des enseignements que nous livre votre Baromètre?
Ambivalence est probablement le mot qui sied à la situation des entreprises implantées en Tunisie. Optimistes elles le sont, puisque leur activité commerciale est favorablement orientée, qu’elles mènent tambour battant de nombreux projets internes à caractère stratégique ou opérationnel et que l’investissement est une composante essentielle de leur feuille de route pour les années à venir. Pessimistes, elles le sont également à travers le regard sévère qu’elles portent sur les perspectives d’évolution de la situation politique, mais surtout économique et sociale de notre pays.
Un décalage fort existe donc, entre la réalité et les capacités de nos entreprises à aller de l’avant, d’un côté, et le contexte politique, économique et social qui tire encore et toujours vers le bas, de l’autre.
Nos entreprises résistent à toutes sortes de débâcles depuis 2011, même si des signes d’essoufflement commencent à apparaître. Malgré cela, elles continuent à générer de la croissance et à se projeter dans un avenir meilleur. Elles nous donnent de bonnes raisons d’espérer et nous font rêver de ce qu’elles sont capables de faire si les pouvoirs publics venaient à faire ce qu’ils ont à faire.
Le baromètre EY 2016 constitue ainsi leur porte-voix, et les messages-clés qu’elles souhaitent adresser sont on ne peut plus explicites : l’intérêt national doit primer sur les intérêts corporatistes et le climat d’affaires doit être amélioré, ce qui donnera des ailes à nos valeureuses entreprises.
Le Baromètre 2016 des entreprises en Tunisie est disponible dans sa version détaillée sur : http://www.ey.com/TN/FR/Home