David Cameron a tout du politicien moderne. Un talentueux gestionnaire qui sait s’entourer des meilleurs et qui a fait preuve d’un pragmatisme politique sans égal pour un Premier ministre conservateur.
Rationnel jusqu’au bout des doigts et loin d’être prisonnier de dogmes politiques, il a su pendant sa primature hisser le parti conservateur vers une domination rarement égalée au parlement britannique. Après la révolution blairienne du parti travailliste, voici le parti conservateur qui se rapproche du centre et qui, en dépit de l’austérité, adopte une démarche sociale plus progressiste, notamment grâce à des baisses d’impôts pour les bas revenus et un retrait de certains avantages fiscaux pour les plus riches.
Six années de primature partagées entre une coalition avec les libéraux-démocrates et un gouvernement purement conservateur ont aidé le Royaume-Uni à tirer son épingle du jeu économiquement dans l’écosystème européen post-crise financière. Le parti conservateur, historiquement un club fermé de diplômés du Collège Eaton, ratisse plus large et ses gouvernements successifs voient arriver de nouveaux profils, alors que certains de ses super ministres sont issus de l’immigration.
La victoire récente lors des dernières législatives était certes un raz de marée conservateur, mais elle n’a pas été obtenue sans risques. Face à la menace grandissante du parti nationaliste UKIP mené par le flamboyant Nigel Farage et pour calmer les esprits europhobes au sein de son parti conservateur, David Cameron a du faire un pari d’un genre assez risqué. Son pari était de promettre une renégociation des traités européens, ainsi qu’un référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à la communauté européenne. En bon politicien rationnel, le jeu en valait la chandelle. D’une pierre il ferait deux coups, il éliminerait le danger UKIP pendant les législatives et renforcerait son leadership chez les conservateurs, ce qui devrait l’aider à faire face au référendum.
L’ironie du sort fera que c’est la question européenne qui le perdra, lui qui a su naviguer avec Brio jusqu’à ce denier référendum.
Plus qu’un homme rationnel, il fallait avoir de l’intuition pour voir le piège se dresser devant lui : la crise des réfugiés causée par une débâcle syrienne dont la responsabilité lui incombe partiellement, le chantage que pratiqua Erdogan sur la question de ces mêmes réfugiés avec une Europe désespérée de trouver une solution et surtout les chiffres de l’immigration européenne qui grossissaient d’année en année et qui mettaient à bout les services publics britanniques.
Plus qu’un bon gestionnaire, il fallait être un leader pour rallier son parti autour d’une vision sur l’Europe plutôt que de le diviser et de stigmatiser les europhobes. Son fair play politique, si British, passerait pour de la candeur voire de la pure bêtise sous d’autres cieux. Ces ministres europhobes étaient autorisés à faire campagne tout en gardant leurs fonctions ministérielles. Cela a ouvert des brèches, le référendum sur l’Europe était devenu une tentative de coup d’Etat au sein du parti conservateur. Avec des porte-voix émanant de partis politiques conventionnels, le chant europhobe pour quitter la communauté européenne résonnait mieux. La campagne du Remain quant à elle, s’installait paisiblement dans une complaisance arrogante, se concentrant surtout sur les conséquences économiques désastreuses d’un Brexit.
Aujourd’hui tout le monde s’accorde à dire que le vote Brexit est plus un vote à la fois protestataire et anti-immigration qu’un vote anti-européen. Si l’écart en pourcentage en faveur du Brexit est confortable, à quatre points d’écart, c’est la cartographie des constitutions en faveur du Brexit qui fait peur. En dehors de Londres et d’une bonne partie du sud est, la grande majorité des régions anglaises ont opté pour une sortie. Des années d’austérité et d’une répartition des richesses insuffisante sont passées par là. Si ces facteurs expliquent en partie la défaite du Remain, il ne faut pas négliger non plus les défaillances du processus européen et de ses dérives.
Maintenant que le vote est fait, penser que le Brexit est le fruit d’une perversion de la démocratie en donnant la voix aux sans-culottes serait une grave erreur. L’autre grave erreur serait les voix européennes qui appellent à la vengeance pour punir les pays sortants. Le Royaume-Uni, par son choix effectué au vote populaire, ne tourne pas le dos à l’Europe mais est exaspéré par la bureaucratie de Bruxelles. Maintenant que le vote est fait, Cameron, dans un geste non dénué d’habilité politique, passe le relais immédiatement aux Brexiters, en leur laissant la lourde tache d’invoquer l’article 50 du traité de Lisbonne qui signifierait le début du retrait du Royaume-Uni du bloc Européen.
Le Référendum est consultatif certes, et n’engage pas l’Etat légalement, mais pour les membres du parlement représentant des régions qui ont voté massivement pour Brexit, en décider autrement serait un crime démocratique. En attendant, et avant le déclenchement de l’article 50, les négociations sur la nouvelle place de la Grande Bretagne commencent. Plus rien ne sera et ne devrait être comme avant, en Grande Bretagne comme dans le reste de la communauté européenne