Dans une tribune rendue publique hier, le 1er juillet, un collectif d’associations de la société civile (14 associations) s’est interrogé sur les motifs de l’inscription du projet de loi relatif à la réconciliation économique en priorité à la Commission de la législation générale au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple (1er juillet) et ce malgré l’opposition de la société civile, depuis son dépôt.
Le collectif reproche au projet de loi le fait qu’il ne soit pas conforme à l’esprit de la justice transitionnelle et qu’il entre en conflit avec la loi relative à la loi organique n°2013-53 du 24 décembre 2013 visant la réforme des institutions. Ainsi le collectif estime : « De ce fait, il pourrait poser de graves questions d’inconstitutionnalité ».
Le collectif a bel et bien rappelé que le projet de loi en question avait déjà été soumis l’an dernier par la présidence de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) à la Commission de Venise qui avait alors émis un avis intérimaire n°818/2015, en date du 23-24 octobre 2015, exposant l’inconstitutionnalité du projet, car celui-ci prévoyait la création d’un mécanisme démuni de garanties d’indépendance, qui risque de provoquer des conflits de compétences insurmontables avec l’IVD et qui n’offre pas les garanties suffisantes pour atteindre les objectifs de la justice transitionnelle.
Par ailleurs, le collectif reproche audit projet de loi, le fait que les bénéficiaires de cette loi échapperont donc ainsi au devoir de redevabilité et d’obligation de rendre des comptes, ce qui rime avec impunité.
D’un côté, le projet de loi n’octroie aucun pouvoir d’enquête à la Commission ad hoc, réduite en un organe purement administratif et étroitement rattaché au pouvoir exécutif. De plus, il retire les prérogatives de l’IVD en matière d’examen des dossiers relatifs à la corruption financière et au détournement de fonds publics.
Notons que le projet de loi de la réconciliation économique propose « l’amnistie des fonctionnaires qui ont été poursuivis ou jugés pour corruption financière et détournement d’argent public ainsi que de tous ceux qui ont tiré profit de ces actes. Plus précisément, ceux-ci pourront se contenter de déclarer les avantages acquis et ainsi obtenir l’arrêt de toute action publique contre eux par décision de la Commission ad hoc que la loi prévoit. Le projet de loi octroie en outre l’amnistie aux personnes qui ont commis des infractions de change, lesquelles bénéficieront d’exonérations diverses relatives notamment aux infractions fiscales concernant l’absence de déclaration de revenus de source tunisienne et l’absence de rapatriement des revenus et gains perçus à l’étranger », précise le collectif.
Le collectif indique que les arguments avancés par la Présidence de la République en faveur de cette loi, à savoir le retour des investisseurs et de la confiance ne peuvent occulter le fait que cettle loi entend mettre en place un système d’impunité tout court :« Tout d’abord, le rapatriement des biens et le redressement économique ne justifient pas la mise en place d’une impunité des fonctionnaires de l’Etat qui ont eux-mêmes contribué à leur fuite. »
De même, le collectif estime que le projet de loi cristallise en effet la volonté de renouer avec les mauvaises pratiques d’un passé que les Tunisiens pensaient révolu depuis janvier 2011 et fait fi des acquis constitutionnels obtenus après la Révolution.
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Liste des signataires :
- Abderrahmane HEDHILI, président du Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES)
- Ons BEN ABDELKARIM, présidente d’Al Bawsala
- Radhia NASRAOUI, présidente de l’Organisation contre la Torture en Tunisie (OCTT)
- Najib BGHOURI, président du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT)
- Monia BEN JEMIA, présidente de l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD)
- Houcine BOUCHIBA, président d’Al Karama
- Wahid FERCHICHI, président de l’Association de Défense des Libertés Individuelles (ADLi)
- Sihem BOUAZZA, présidente de l’Association Tunisienne du Droit au développement (ATDD)
- Kamel HADDAD, président de l’Association de Défense des Droits de l’Homme (ADDH)
- Farah HACHED, présidente du Labo’ Démocratique
- Chafik BEN ROUINE, président de l’Observatoire Tunisien de l’Economie (OTE)
- Antonio MANGANELLA, Directeur d’Avocats Sans Frontières en Tunisie (ASF)
- Gabriele REITER, Directrice de l’Organisation Mondiale contre la Torture (OMCT) en Tunisie
- Ramy SALHI, Directeur du bureau Maghreb Réseau Euro-Méditerranéen des Droits Humains (EUROMED)