C’est finalement la prédiction de Winston Churchill faite à de Gaulle en 1944 qui se réalise : « Sachez-le, chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous serons toujours pour le grand large. »
Depuis l’annonce de la victoire du Leave, les analystes du monde entier ont donné force détails sur la portée planétaire de cet événement. Aussi, et au delà des retombées économiques, financières, sociales, politiques et géostratégiques que cette décision induit et qui ont été suffisamment décortiquées, nous devons en tant que Tunisiens savoir tirer les enseignements qui pourraient nous servir dans notre propre construction nationale et maghrébine :
- Inversion de la dynamique de l’élargissement engagée depuis cinquante ans et qui concerne un acteur de poids. 16 % du PIB de l’UE, première place financière mondiale, siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU… Une participation budgétaire du Royaume-Uni équivalente aujourd’hui à 0,5 % de son PIB. L’Europe sera sûrement moins influente sans. Cela devrait nous renforcer davantage dans notre volonté de diversifier nos échanges avec d’autres zones pour réduire la dépendance vis-à-vis de l’UE.
- Nous sommes rentrés de plain-pied dans l’ère de la défiance et du désenchantement. La construction européenne ne fait plus rêver. Le projet européen a cessé d’être un rêve et une promesse d’un meilleur lendemain pour une majorité de citoyens, notamment pour les plus âgés d’entre eux et pour certaines régions, qui n’en voient pas le bénéfice, comme l’attestent l’analyse des votes par tranches d’âges et par région. Donc risque d’effet domino. Quelques Etats membres ne manqueront pas de jouer la carte du référendum, ne serait-ce que pour obtenir des concessions ou de meilleures conditions d’adhésion. Les politiques doivent désormais, et plus que jamais, faire preuve de pédagogie, convaincre, séduire et rétablir la confiance indispensable à toute action politique.
- Force est de constater que ce qui désunit a été plus fort que ce qui unit et a forcé le poids du Leave. Nous avons encore une confirmation que les gens sont plus prompts à s’unir contre que pour. Nous en faisons malheureusement l’expérience sur les principales réformes à engager.
- La raison n’a pas prévalu face aux peurs des citoyens, aux angoisses des lendemains incertains, aux contempteurs de l’Union européenne et à la montée des populismes et des nationalismes. Confirmation que la peur est toujours mauvaise conseillère.
- On ne joue pas l’avenir de son pays à pile ou face. L’initiative du référendum s’est retournée contre son initiateur et fera du Royaume-Uni le premier pays à quitter l’Union. On ne s’engage pas dans une bataille si l’on n’a pas réuni les conditions du succès et envisagé des scenarii alternatifs. Leçon à méditer dans nos contrées.
S’étonner outre mesure du résultat du vote, c’est méconnaître la spécificité de l’ambivalence historique du Royaume-Uni quant à la question de l’adhésion à l’Union. Le Royaume-Uni est coutumier du fait en matière de décisions similaires. Rappelons le refus d’adoption de l’euro, de l’espace Schengen, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, des normes en matière de durée de travail, … et j’en passe. Le Royaume-Uni a fait prévaloir régulièrement des opt-outs (options de retrait) sur les éléments les moins profitables à ses intérêts. Donc, le résultat du référendum ne constitue véritablement pas une surprise en soi. Le Royaume-Uni a toujours été in and out en même temps selon ses intérêts.
Pas d’impact significatif sur le plan des échanges qui sont somme toute mineurs.
La fragilisation de l’euro sera de mon point de vue temporaire. Il y va de la survie de la zone. Les pays de la zone ne manqueront pas de réagir pour retrouver un point d’équilibre. En tout état de cause, l’économie tunisienne est incapable en l’état actuel des choses de bénéficier d’un quelconque avantage et ne peut que subir. La léthargie dans laquelle nous sommes nous empêche d’espérer un quelconque bénéfice de la situation. Une hypothétique décélération de la croissance européenne nous aurait pénalisé si nous étions en phase de montée en puissance en matière d’export ce qui n’est malheureusement pas le cas.
Amélioration de notre capacité de négociation avec l’UE
Devrions-nous tout au plus améliorer les termes de négociation avec notre partenaire européen. En effet, il est clair que le Brexit n’est pas un événement anodin et devrait être étudié dans toutes ses dimensions par les négociateurs tunisiens. Les pouvoirs publics en Tunisie seraient bien inspirés d’en tirer tous les enseignements pour améliorer les conditions de négociation relatives à l’Aleca dans le sens d’un meilleur rééquilibrage en faveur des intérêts de l’économie tunisienne, notamment dans les secteurs les plus vulnérables (i.e. agriculture et services) qui doivent être fortement soutenus et de l’application des quatre libertés sans exclusive : libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux.
Don’t loose the lesson
Au-delà du Brexit, la question essentielle est notre attitude par rapport aux événements extérieurs et à leur gestion par nos décideurs. L’engagement du referendum est une promesse électorale qui remonte à 2013 et tout indiquait qu’elle serait tenue. Je n’ai pas connaissance de la mise en place d’une cellule de suivi qui aurait étudié toutes les issues possibles du Remain or Leave et leur probable impact sur notre économie et sur les négociations en cours pour l’Aleca. Auquel cas, l’on aurait pu anticiper des mesures correctives, de sauvegarde et d’ajuster en conséquence. Bien au contraire, et c’est symptomatique d’une déresponsabilisation habituelle chez nous plus prompte à faire porter la responsabilité de notre situation sur autrui, l’on a attendu le dernier moment pour se limiter à en prendre acte et à supputer des positions des uns et des autres, comme si nous n’avions aucune action à entreprendre et que nous devrions subir.
S’il est une leçon qu’il faut tirer de cet événement, c’est d’apprendre à ne compter que sur nous-mêmes. De grâce, cessons de faire dépendre notre avenir de celui des autres. Cessons d’attendre notre salut des heurts et malheurs des autres. Le salut est en nous. Aucun événement ne saurait nous être favorable si nous ne savons pas nous mêmes où nous allons. Définissons d’abord notre propre destin national, définissons notre horizon et l’on saura alors distinguer ce qui est bon pour nous et ce qui ne l’est pas et ainsi transformer les menaces en opportunités pour en tirer profit.