L’heure de vérité a sonné nous voilà dans la tourmente, en pleine zone de dépression du dinar. Plus question de se voiler la face et de fuir nos propres responsabilités. On sait ce qu’il faut penser de l’attitude, pour le moins hypocrite, d’apprentis politiciens qui se lamentent, s’insurgent et versent des larmes de crocodile devant l’agonie du dinar.
On ne s’étonne pas non plus des gesticulations de ces nouveaux chevaliers de la société civile qui dénoncent, sabre en l’air, la dégringolade du dinar. On comprend, en revanche, la douleur, les gémissements et les craintes du Tunisien lambda, confronté à cette descente aux enfers de la monnaie nationale. Elle l’atteint au plus profond de lui-même en le condamnant à la régression sociale. La dépréciation rampante du dinar, c’est davantage d’inflation, de hausse du coût de la vie, de perte de pouvoir d’achat et au final, des risques de paupérisation accrue. Tout devient plus cher, plus difficile d’accès. Aucun produit ni aucune prestation de service n’y échappent, à cause de leur contenu en importation.
Jour après jour, la valeur du dinar fond comme beurre au soleil. Il perd ses couleurs et le peu d’éclat qui lui reste. Il dévisse brutalement et décroche par rapport à l’euro qui n’est pas au mieux de sa forme, et par rapport à la monnaie américaine. L’euro pointe à 2,5 dinars, talonné de près par le dollar qui s’échange à 2,2 DT. La monnaie nationale a perdu relativement 17% et 37% de sa valeur entre 2008 et 2015. C’est même miraculeux qu’elle ne n’ait été dévaluée davantage. Autant dire que le calvaire du dinar n’en est qu’à ses débuts. Car le ciel national est chargé de nuages et d’incertitudes. Le dinar ne résistera pas à cette avalanche de zones de turbulence.
Rien ne saura, ni ne pourra stopper cette glissade et plus encore inverser la tendance quand on est à ce point incapable de réagir avec vigueur pour traiter le mal à la racine. Il faut un pilote capable de redresser et de renflouer le navire – qui prend eau de toutes parts – ballotté par les vents, sans direction, ni cap précis. Il faut l’affirmation d’une autorité capable de mettre au plus vite en mouvement les leviers du développement, les mécanismes de rappel, d’arrêter dans l’immédiat l’explosion des déficits et l’hémorragie de devises.
La classe politique, tombée au plus bas dans les sondages d’opinion, frappée de discrédit, les corps intermédiaires qui ne suscitent guère l’enthousiasme des foules, englués qu’ils sont dans leurs privilèges et leurs revendications corporatistes, jouent aux vierges effarouchées et poussent des cris d’orfraie à la vue de l’érosion du dinar comme pour se dédouaner, oubliant au passage qu’ils sont les premiers responsables de cette dégradation. Il leur sera difficile de nous faire croire qu’ils ne font pas partie de la meute des fossoyeurs de notre monnaie nationale.
Le dinar est aujourd’hui malmené, peu attrayant et déprécié, sans que la baisse des cours puisse relancer les exportations
La vérité est que la dépréciation du dinar était prévisible et même attendue. Nous l’avions annoncée plus d’une fois ici même. Sans succès. Elle était inscrite depuis plus de 5 ans dans les statistiques de production, d’investissement, du commerce extérieur de notre balance des paiements courants, de notre désinvolture au travail et de la chute de la courbe de productivité. On savait, depuis longtemps, que tôt ou tard, le dinar serait revu et corrigé – par les marchés – à la baisse. Que la digue protectrice érigée artificiellement par la BCT finirait par céder, sous le poids des déficits jumeaux. Celui de la valeur travail, par qui la perte de substance du dinar arrive, ne l’est pas moins.
Sauver le dinar mais à quel prix, à moins d’un véritable redressement économique. La BCT, quels qu’en soient son désir et sa volonté, ne saura et ne pourra le faire en puisant dans ses maigres réserves de change.
Elle ne peut tordre le cou aux marchés, ni transgresser les principes de réalité, sans s’exposer aux critiques de bailleurs de fonds.
La valeur du dinar ne se décrète pas, elle se construit patiemment, à force d’effort, de labeur, de qualité et d’intelligence. Elle est le reflet et le miroir de nos performances économiques et l’expression de notre désir de conquête de marchés extérieurs. La monnaie n’est que le baromètre de l’activité économique, sociale et financière constatée et plus encore anticipée. Sa valeur dépend de notre aptitude au travail, de notre capacité d’adaptation et d’innovation. La moindre dépréciation équivaut à une perte de valeur, de substance, à une sorte de décote nationale.
Le recul du dinar ne signifie rien d’autre que cela : échanger à chaque fois plus d’heures de travail – déprécié – tunisien contre une même quantité de travail étranger. Ce qui signifie qu’on travaille plus pour les autres que pour nous-mêmes avec pour corollaire, cette situation absurde de transfert de revenus vers l’étranger, alors qu’on n’a jamais manqué autant de ressources en devises. Cela signifie, de manière encore plus brutale, que nous organisons nous-mêmes les conditions d’un échange inégal, qui provoque notre propre appauvrissement. Notre dignité nationale ne sortira pas indemne et souffrira d’une perte de substance de notre travail, tant elle est associée à notre désir, notre ambition et notre prétention à vouloir faire jeu égal avec nos partenaires et concurrents étrangers.
Qu’y pourra l’Institut d’émission, comptable de la stabilité du dinar ? Rien ou pas grand-chose, face à la déferlante des importations, à la sinistrose ambiante, à la lassitude, au désenchantement, à la crise de confiance des investisseurs, au recul des exportations, à la chute brutale des recettes touristiques, des transferts des revenus des TRE et des investissements étrangers. L’endettement extérieur, si décrié, mais dont tout le monde s’accommode, ne peut ni ne doit tenir lieu de politique. Il a dépassé les bornes et bute déjà sur ses propres limites.
Instinct de survie ou sursaut d’orgueil national ! Le dinar reprendra des couleurs quand la Tunisie sera de retour. Il ne faut s’en prendre qu’à nous- mêmes. Nul besoin ni intérêt de s’en prendre aux Ayatollah du FMI, moins intégristes qu’on le dit. On ne peut solliciter un appui financier et nous dérober à la discipline budgétaire et financière. Si nous voulons un dinar fort, alors, il faut en payer le prix : retrousser les manches, retrouver calme et sérénité, en finir aves les querelles politiques aux retombées sociales évidentes, réhabiliter le dialogue social au sein des entreprises, devenues un champ clos de lutte ouvrière. La paix sociale sinon rien.
Si nous voulons payer moins cher nos importations et vendre nos biens et services à l’étranger à des prix qui ne soient pas bradés et humiliants, si nous voulons que nos salaires et nos pensions aient un contenu et de la chair, si nous voulons contenir la dette extérieure qui explose du seul fait de la dépréciation du dinar, il faut alors restaurer l’attractivité du site Tunisie, mettre en confiance les investisseurs locaux et étrangers, dont la reprise de l’activité fera remonter le cours du dinar.
Si nous voulons, comme on l’entend de partout, acquérir à des prix normaux, c’est-à-dire à leur juste valeur, voitures, céréales, postes TV, ordinateurs, Iphone, produits de luxe et jusqu’aux biens les plus superflus, il faut nous hisser à des paliers de production, de productivité, de qualité et de travail que nous avons perdus de vue. Qu’on se le dise : tout écart, tout différentiel de productivité, de qualité, de prix comparés à l’international se paient au prix de réajustements et de corrections de la parité du dinar.
Osons prouver à nous-mêmes et à ceux qui nous observent et jugent que nous sommes en capacité de relever le défi de la qualité, de la compétitivité. Il n’y a pas d’autres voies et d’autres moyens de résorber nos déficits, de mettre fin à l’hémorragie de devises et d’amorcer la nécessaire remontée du dinar. Ou en tout cas le stabiliser.
Le dinar est aujourd’hui malmené, peu attrayant et déprécié, sans que la baisse des cours puisse relancer les exportations victimes de la désorganisation de la production, de l’absence de l’autorité de l’Etat et du recul de l’investissement et de l’innovation. Mais il n’y a aucune fatalité à sa chute. Il peut et doit remonter. L’honneur des chefs d’entreprise, des commerçants, des syndicats, de l’administration – à travers de nouveaux aménagements fiscaux – est que le dinar puisse au moins retrouver sa parité d’avant révolution. Il y va de la réputation de notre travail et de notre dignité.