« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. » — Frantz Fanon, Les damnés de la terre.
Le soulèvement de décembre 2010-janvier 2011 avait un « endroit » autonome marqué par la spontanéité et un « envers » confus, encore brouillé par les différentes intrusions provenant des entrailles du régime novembriste lui-même et de l’étranger. Le volet spontané, c’est la jeunesse tunisienne qui l’avait incarné. Mais assez vite, le naturel qui a été chassé est revenu au galop! Les spectres du passé de tous bords se sont emparés du paysage politique. Depuis, les Tunisiens vivotent sous la pesanteur étouffante de cette emprise dévastatrice. Désillusion et scepticisme se sont accentués crescendo. Une majorité de citoyens ne fait plus confiance aux politiciens et n’aime pas du tout la manière dont les choses se déroulent. Résultat, le contexte actuel est nettement marqué par la désaffection vis-à-vis d’une classe politique gangrénée. Les décisions qui concernent le présent et qui engagent le futur sont prises par une coterie dont les membres ont pour la plupart plus de 60 ans, pour ne pas dire davantage encore, et n’aspirent pas véritablement à une modification du champ politique!
Pourtant, la société tunisienne est une société essentiellement composée de jeunes. C’est un fait attesté par le recensement général de la population réalisé en 2014. L’âge moyen est de 32,4 ans. La structure par âge fait ressortir 44% environ de Tunisiens âgés entre 20 et 45 ans (0-4 ans 8,9 %, 5-14 ans 14,9 %, 15-59 ans 64,5 %).
Quant au poids électoral des jeunes et leur participation, il n’y a pas encore (!) de statistique officielle précises sur le taux d’abstention aux dernières élections. Mais l’impression qui prédomine est un taux d’abstention très élevé à ce scrutin. Pourtant, les jeunes ont très largement participé aux grandes luttes et il existe encore des mouvements sociaux dans lesquels ils s’investissent. Un engagement associatif, même s’il reste peu significatif, est à prendre en compte. Ce qui est manifeste, c’est que les partis politiques n’attirent plus et suscitent plutôt la méfiance. La pléthore d’expressions toutes faites et aussi métaphoriques les unes que les autres, employées par les dirigeants de ces partis, pour montrer qu’au niveau du discours, les jeunes occupent une place importante, est démentie dans les faits puisque leur représentation est réduite à la figuration. Les luttes de pouvoir et d’influence entre les autres membres moins jeunes qui orchestrent une sorte d’obstruction étouffant la visibilité des jeunes au sein des organes des partis, expliquent l’absence d’accès à de véritables responsabilités au sein de ces instances partisanes. Toutefois, l’engagement politique ne passe pas forcément par le parti. La jeunesse tunisienne n’est ni démissionnaire, ni défaillante. Ce qui la caractérise est sans doute une volonté de se démarquer d’une pratique politique dans laquelle elle ne se reconnait pas.
Alors, comment permettre l’éclosion d’une force portée vers l’avenir et capable de prendre les rênes du pouvoir en Tunisie, même dans un environnement pollué et des règles biaisées? Il s’agit de trouver la formule opérante pour (re)donner aux jeunes l’envie de s’investir en politique, favorisant ainsi le renouvellement générationnel, à travers l’émergence d’un nouveau leadership politique que les jeunes devront assurer. La Tunisie a besoin d’apporter des solutions innovantes à ses problèmes, de la créativité avec un regard neuf et enthousiaste que seuls des jeunes peuvent donner. Mettre en place une structure inédite qui romprait avec l’organisation traditionnelle des partis politiques, à partir de logiques et d’enjeux nouveaux. Éventuellement, par la tenue d’assises pour la convergence des forces vives, sur le modèle d’une grande consultation. Elles seraient couronnées par la création d’une entité qui organiserait l’apprentissage et la formation afin de maitriser les rouages et les mécanismes de gestion de la cité, la transmission de la culture, des valeurs, des savoirs et savoir-faire politiques, loin des idéologies surannées et du charlatanisme religieux, pour être au rendez-vous lors des échéances électorales des municipales.