L’avenir s’affiche de plus en plus incertain pour la Tunisie et on se dirige vers un nouveau dialogue national avec la même recette et les mêmes ingrédients. Que peut-on espérer de ce nouveau dialogue? Objectivement, pas plus que son précédent.
Depuis les élections qui ont suivi la révolution du 17 décembre 2010- 14 janvier 2011, on identifie les mêmes personnalités dans le paysage politique; majoritairement des anciens opposants au régime, des nouvelles figures qui ont vu dans l’accumulation de richesses une opportunité de gloire politique et des vieilles compétences recyclées sous un nouveau format idéologique.
Ainsi dit, l’ensemble de ces acteurs se sont disputés, échangés et partagés le pouvoir pendant ces cinq dernières années, sans trop porter attention aux cris de détresse d’un citoyen épuisé par le recul de son pouvoir d’achat, l’augmentation du taux de chômage, la dépréciation du dinar tunisien, la défaillance des services publics, l’augmentation de la dette publique, la hausse de la criminalité, la menace terroriste…
Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation?
Dans le cadre d’une conférence à l’IMD (International Institute for Management Developement), l’ancien Premier ministre tunisien, Mehdi Jomaa, est allé de sa formule habituelle que la Tunisie est une start-up démocratique et que l’État moderne a besoin de compétences managériales, à l’image du secteur privé, pour bien répondre à ses défis. Même si l’ancien chef du gouvernement peut avoir dit vrai dans ces propos, toutefois, la transposition du secteur privé vers le public n’est pas aussi évidente qu’il l’entendait. Car les deux formes d’organisations ont des objectifs complètement différents.
Le secteur public existe pour répondre aux besoins de l’ensemble des citoyens, alors que la raison d’être du secteur privé est de faire des bénéfices.
L’ancien Premier ministre n’a pas manqué de souligner, au cours de son intervention, ses compétences managériales dans la gestion de la crise politique en Tunisie, en ayant comme mandat principal de conduire le pays vers les élections législatives de 2014. Cela dit, fallait-il évaluer sa performance organisationnelle ou managériale? Faut-il rappeler que le Président de la République, Béji Caïd Essebsi, a pu aussi diriger le pays quand il était appelé à son chevet à la tête du gouvernement au plus grave moment de la crise vers ses premières élections législatives et présidentielles de 2011, en gérant parallèlement la crise des réfugiés quand ils ont pris d’assaut la frontière tuniso-libyenne.
Le principal problème dans ce paysage politique au bord de l’anarchie, c’est qu’il y a toujours eu une mauvaise lecture des données socioéconomiques et l’absence d’une volonté à répondre aux revendications de la révolution. Par contre, il y a, à chaque fois, une volonté de conquête du pouvoir par une minorité laquelle n’est préoccupée que par sa situation sociale et financière.
Pendant la phase post-Ben Ali, la situation politique était caractérisée par la disparité entre les positions et l’absence d’un vrai dialogue national fédérateur. En témoigne ce rapport de force existant entre les partis politiques d’un côté et l’UGTT de l’autre. A cela s’ajoute le gaspillage de l’argent public, à l’image des dépenses consacrées à la rédaction de la Constitution qui se sont élevées à 115 millions de dinars en 2014, selon Sami Remadi, président de l’Association de la transparence. Ce montant jugé démesuré l’est principalement à cause des salaires exorbitants et des primes injustifiées, dans un contexte où on devait adopter une politique d’austérité. Il est important de souligner aussi l’ensemble des prêts accumulés ces cinq dernières années à des taux d’intérêt élevés, qu’il est pour le moins difficile de couvrir à l’avenir, surtout avec la crise économique actuelle.
Le lien entre la crise politique tunisienne et la récession économique
La crise politique s’accentue et s’enlise dans un contexte de récession économique nationale et internationale : perte de marché, crise financière et recul des investissements étrangers… Plus grave, l’effondrement d’un pilier de notre économie nationale, qu’est le tourisme. L’image bien ancrée, fondée de la Tunisie pendant des décennies comme l’une des destinations les plus convoitées dans la région méditerranéenne s’est complétement dégradée en raison de l’instabilité politique, mais surtout, à cause des attaques terroristes qui ont visé le Musée du Bardo le 18 mars 2015 et un hôtel à Sousse le 26 juin 2015.
L’année 2016 sonne l’alerte quant au départ des investisseurs étrangers, selon l’Agence de promotion de l’investissement étranger (Fipa). Le premier trimestre affiche un recul de 25,4 % des investissements étrangers comparativement au même trimestre de 2015, soit un montant de 396,2 MD. Un repli qui n’est pas sans rapport avec la crise politique.
Profil des partis politiques et marginalisation de la jeunesse
Dans cette phase historique de la Tunisie moderne, les jeunes, formant la plus grande partie de la pyramide des âges, se voient exclus du pouvoir décisionnel. Touchée par un taux de chômage qui s’élève à 15,4% de la population active, cette génération est envahie par un sentiment de déception et de désillusion. Les limites d’accès au marché du travail, les atermoiements de la performance économique, ainsi que l’impasse politique, ne laissent guère place à l’optimisme.
Quel type d’ajustement et de réformes devons-nous porter à l’administration publique?
Il existe un consensus sur la détérioration des services publics touchant l’ensemble des services, entre dégradation de la qualité, absence de plusieurs services, lenteur de traitement des dossiers, insouciance des fonctionnaires et de leurs gestionnaires et surtout la corruption. La disparité entre l’attente du citoyen et la réalité administrative est colossale. Tous ces problèmes identifiés ne sont un mystère pour personne, toutefois, experts et hommes politiques sont incapables d’offrir des solutions à court et long termes afin d’y remédier d’une manière efficace et permanente.
La problématique principale dans notre administration publique, c’est le revirement ou le changement au sommet administratif à l’arrivée d’un nouveau gouvernement. Habituellement, la logique traditionnelle était de changer l’organigramme de l’organisation, par exemple, en remplaçant un cadre par un autre. Cependant, cette logique ne peut garantir le redressement organisationnel, car le risque est grand d’une éventuelle perte de la mémoire administrative. Dans la majorité des cas, la reconfiguration de l’organigramme peut accentuer le problème organisationnel, surtout si la nouvelle personne n’est pas familière avec les problèmes de l’institution.
L’analyse organisationnelle moderne exige le passage par un diagnostic stratégique pour une réévaluation de la structure et la dynamique de l’organisation en question, afin d’élucider le flux du travail et d’optimiser les résultats.
Quelles options quand il n’y a plus d’options?
Le leadership apparait comme un concept totalement absent dans le contexte actuel. Les limites intellectuelles et professionnelles de politiciens handicapent le processus d’instauration d’un système politique conforme aux revendications du 14 janvier 2011. La nation est prise en otage, victime de l’égoïsme, de l’incompétence et souvent de « l’ignorance » de la classe politique.
Il faut sortir du statu quo pour éviter un scenario catastrophe, au cas où l’ensemble des acteurs politiques continuent à manifester cet entêtement excessif autour des négociations. Sur le plan économique, on ne pourra pas éviter le risque d’une dégradation systémique des PME avant de se voir dicter les consignes du FMI et de la Banque mondiale, qui se traduisent habituellement par des coupes drastiques touchant l’ensemble de la fonction publique.
A ce moment là, il ne sera plus question de revendications sociales, mais on se dirige, à un rythme soutenu, vers une perte progressive de notre souveraineté nationale.