Pendant des années, on nous a bassiné les oreilles avec leur refrain favori sur ce fameux «modèle islamo-conservateur turc». Surtout qu’il plaît tellement à certaines puissances et à leur tête les Etats-Unis d’Amérique pour des raisons géostratégiques de domination.L’Histoire nous a édifié sur la manipulation infernale des référents identitaires, religieux et confessionnels opérée par les puissances coloniales pour mieux les instrumentaliser et atteindre au cœur de la cohésion des nations ciblées.
Un des objectifs du vaste projet américain de Grand Moyen-Orient est justement de placer ce qu’ils appellent «l’islamisme modéré» au centre d’une stratégie de pseudo démocratisation d’une bonne partie des pays arabes, qui s’est avérée être plutôt un stratagème méthodique de décomposition, de désintégration et de démolition.
Cette duperie «l’islamisme modéré» a été dévoilée à maintes reprises et dénoncée, mais il était inutile de chercher à convaincre ceux qui ne veulent pas entendre raison et comme on dit, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ! Aujourd’hui, les masques sont tombés sur une tragi-comédie. La même tactique copiée par nos «islamistes modérés» a été pratiquée durant des années par Recep Tayyip Erdogan et sa coterie pour anesthésier les vigilances et mieux s’incruster, avant de dévoiler leur vrai nature. La cruauté, la hargne, la veulerie, l’avidité et surtout la mise en application d’un projet moyenâgeux et fascisant s’annonçait subliminalement.
Il faut dire qu’ils avaient combiné le talent de la parole à leur nature vorace à un niveau des plus ingénieux dans la séduction des crédules. Ils sont rusés dans l’usage de la gradation comme un mécanisme à retardement, dans un effet de crescendo. Mais le voile se déchire d’un coup et le masque de la parole hypocrite tombe. On se souvient d’Ahmet Davutoğlu développait dans son livre intitulé « Profondeur stratégique » et publié en 2004, les grandes idées qui devraient permettre à la Turquie de se projeter dans l’avenir.
Cette doctrine « islamiste néo-ottomane », feignait d’aller au-delà des seules considérations idéologiques. En fait, cet ouvrage est une opération de communication-séduction qui semblait révéler les grands axes de la politique extérieure de la Turquie, identifiant quelques impératifs : mettre en œuvre le principe du « zéro problèmes avec ses voisins », assouplir les relations avec les pays arabes, prendre ses distances vis-à-vis d’Israël… Des démarches ont été faites pour favoriser les liens avec l’Union européenne en vue de l’adhésion. Ce tropisme européen a amené le gouvernement turque à adopter une série de réformes réclamées par Bruxelles, mais les relations entre la Turquie et l’Union se sont ensuite détériorées…Sur tous ces chapitres, la Turquie a fini par faire le contraire !
Sur le plan intérieur, les islamistes de l’AKP ont fait semblant d’accepter les principes d’un Etat séculier. Pendant des années, ils se sont gardés de menacer l’ordre laïque et républicain pour éviter de s’attirer les foudres de l’establishment kémaliste. La priorité a donc été donnée aux réformes politiques, sans référence aucune à une quelconque idéologie islamique. Lorsqu’on observe l’évolution des événements, on se rend compte que toutes leurs manœuvres n’étaient qu’une panoplie de tactiques destinées à préparer le moment propice pour montrer leur vrai visage.
Sur le plan économique, il convient de rappeler que c’est au début des années 1980, avec l’arrivée au pouvoir du conservateur Turgut Özal, que des changements commencèrent à s’opérer avec une émancipation de la logique dirigiste. Ce rappel est fondamental car il est à l’origine du boom économique qui a eu lieu environ dix ans après. Donc, lancées bien avant l’arrivée de l’AKP, les réformes économiques ont favorisé l’émergence de puissantes entreprises et centres industriels.
Avec ce déchaînement de hargne d’un Etat gouverné par la colère et la vengeance, la Turquie s’enlise et fragilise son économie et celle de ses régions frontalières, qui étaient tournées vers la Syrie et ses voisins. La crise elle-même menace de dégénérer…
Le principal parti d’opposition CHP (Parti républicain du peuple), héritier proclamé de Mustapha Kemal, qui avait fait bloc avec les autorités après la tentative de coup d’Etat, rassemble cent mille personnes à la place Taksim pour dénoncer aussi bien les militaires putschistes que les dérives de Recep Tayyip Erdogan, avec pour slogan : « Ni diktat, ni dictature : la démocratie ». C’est prometteur !
L’enfant du conte d’Andersen réapparaît pour nous dire : « Le roi est nu ». Ce cri vient défaire l’imposture, dévoiler l’évidence, révéler l’objet « tel qu’il est ». Le mythe a volé en éclats, ceux qui prétendent que la Turquie de l’AKP pourrait être un modèle se sont bien trompés.
A bon entendeur, salut !