Est-on en train d’assister à la banalisation de l’horreur en Europe ? Deux semaines après l’horrible drame de Nice, la France a vécu mardi 26 juillet un autre drame dans une église dans le Nord du pays, où deux terroristes ont pris en otages des fidèles et ont égorgé un prêtre avant d’être abattus par la police.
Après la France et la Belgique, l’Allemagne a vécu à son tour des journées sanglantes à la suite d’actions violentes perpétrées par des terroristes et des psychopathes. Le peuple allemand, qui n’a pas connu le terrorisme depuis le démantèlement de la bande de Baader Meinhoff dans les années 1970, vit dans un émoi semblable à celui vécu depuis le début de 2015 par son voisin français.
Ailleurs en Europe, en Espagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Hollande etc., les forces de sécurité et les services de renseignement sont sur le qui-vive. Tout le monde se sent menacé et chaque pays mobilise les moyens dont il dispose tout en priant le Dieu auquel il croit pour qu’il soit épargné.
Il faut dire que dans leurs prévisions les plus pessimistes, les dirigeants et les idéologues européens, et notamment français, qui se sont laissés enrôler dans la stratégie américaine de « guerre contre le terrorisme », n’ont pas imaginé un seul instant qu’ils seraient un jour confrontés à une situation aussi dramatiquement inextricable et face à laquelle ils seront aussi terriblement impuissants.
Quand Nicolas Sarkozy avait changé de cap et tourné le dos à la politique étrangère de son prédécesseur, Jacques Chirac, pour un petit strapontin dans la galère américaine, il ne pouvait ignorer que la destruction d’Etats dans les pays arabes était le meilleur cadeau qu’on puisse offrir aux terroristes. L’ignorait-il, il aurait eu largement le temps de se familiariser avec cette évidence en observant le désastre irakien qui avait atteint des sommets de violence en 2006 et 2007, l’année où Sarkozy remplaçait Chirac à l’Elysée.
Malgré l’Irak, Sarkozy, « conseillé » par Bernard Henri-Lévy, avait participé activement à la destruction du régime de Kadhafi, plongeant le pays dans l’anarchie et condamnant le peuple libyen à une interminable descente aux enfers.
Son successeur, François Hollande, ne pouvait pas non plus ignorer que la destruction du régime syrien ouvrirait les portes de Damas aux coupeurs de tête de Daesh et d’Annusra. L’ignorait-il, il aurait eu largement le temps de se familiariser avec cette évidence en observant le désastre libyen.
Malgré l’anarchie terrifiante qui ensanglante la Libye, Hollande était pris d’une telle hystérie anti-syrienne qu’il était devenu le plus grand avocat d’une intervention armée contre le régime de Bachar al Assad. N’eût été le revirement d’Obama, les bombardiers français auraient sans aucun doute enterré sous leurs bombes en 2013 le régime syrien, renouvelant leur « exploit » de 2011 en Libye, et présentant la Syrie sur un plateau d’argent aux égorgeurs de l’ « Etat islamique » et d’Annusra.
Pour récapituler, disons que Bush 2 avait utilisé le faux prétexte des armes de destruction massive pour détruire le régime irakien, faisant de l’Irak la plus grande pépinière du terrorisme de tous les temps. Sarkozy avait utilisé le faux prétexte de « génocide » que préparerait Kadhafi contre son peuple pour détruire le régime libyen, faisant de la Libye une autre immense pépinière du terrorisme qui menace la Tunisie, l’Algérie et même le Maroc et les pays subsahariens. Quant à Hollande, il avait lui aussi utilisé le faux prétexte de « massacres » qu’aurait perpétrés Bachar contre son peuple pour se faire le fer de lance de la croisade anti-syrienne. N’ayant pu avoir « la chance » de son prédécesseur en Libye, Hollande a contribué avec ses amis qataris, saoudiens et turcs à prolonger la guerre atroce de Syrie en aidant substantiellement l’opposition armée largement dominée par les terroristes.
La question clé qui se pose est la suivante : comment se fait-il qu’en dépit des exemples tragiques de l’Irak et de la Libye, Français et Américains et d’autres Occidentaux s’acharnaient à aider furieusement l’opposition à l’armée syrienne, tout en se souciant comme d’une guigne de l’explosion du terrorisme dans le monde arabe ?
Il faut dire qu’avant les attaques de Charlie Hebdo en janvier 2015, et du Bataclan en novembre de la même année, les Occidentaux n’étaient pas inquiets outre mesure par l’explosion du terrorisme au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Pourquoi le seraient-ils quand ce sont des Arabes et des Musulmans qui s’entre-tuent à coups de voitures piégées et de ceintures d’explosifs, alors que les Américains et les Européens sont protégés par des armées puissantes et des systèmes de sécurité infaillibles ?
C’est seulement après Charlie Hebdo, et plus encore après le Bataclan, et plus encore après Nice que la France en particulier et l’Occident en général ont commencé à paniquer. Le spectacle, irréel pour les Occidentaux, des torrents de sang et des corps déchiquetés observé depuis des années sur les écrans de télévision en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie ou au Yémen, est devenu un drame bien réel que l’on observe dans les rues des villes occidentales. L’idée même d’un tel cauchemar n’avait pas effleuré l’esprit des plus pessimistes, et la terrifiante réalité de cette situation n’avait pas été prévue par les plus futés des analystes.
A part quelques intellectuels, qui se comptent sur les doigts d’une main, comme Michel Onfray ou Thierry Meyssan en France par exemple, la tendance chez les politiciens, les analystes et les journalistes des deux côtés de l’Atlantique est de se concentrer sur les effets et sur la manière de les traiter et d’ignorer complètement les causes et les responsables de cette catastrophe planétaire qu’est devenu le terrorisme.
Quand on entend les politiciens de part et d’autre de l’Atlantique fustiger le terrorisme et proposer des stratégies pour son éradication, on ne peut s’empêcher franchement de penser à des pyromanes consternés par l’étendue du sinistre qu’ils ont provoqué et qui s’affairent nerveusement autour du feu qui continue de s’étendre, ne sachant trop que faire pour l’éteindre. Quand on observe Sarkozy , Clinton, Hollande, Obama, Cameron et les autres gesticuler, vociférer et proférer des menaces sur tous les tons à l’adresse de terroristes sans nom, ni visage ni adresse, on se croit devant une scène du théâtre de l’absurde.
De 2001 jusqu’à ce jour, quelque 2 millions d’Arabes et de Musulmans ont été tués dans ce que George Bush appelait « War on terror », dont très peu de terroristes et beaucoup trop de civils innocents.
Quinze ans après, aucun décideur aux Etats-Unis ou en Europe n’a eu le courage de dire que la stratégie suivie jusqu’à présent est productrice et non éradicatrice de terrorisme ; qu’on ne peut pas détruire des régimes, livrer des sociétés entières à l’anarchie et s’étonner que l’insécurité gagne du terrain partout dans le monde ; qu’on ne peut pas vendre à coups de milliards de dollars un armement mortel à qui veut bien l’acheter, ensuite se lamenter de le voir entre les mains des terroristes ; qu’on ne peut pas continuer à faire des affaires fructueuses avec l’Arabie saoudite et le Qatar et en même temps feindre d’ignorer le rôle de ces deux pays dans la propagation du terrorisme ; on ne peut pas dépenser un trillion de dollars par an en budgets d’armements alors que la moitié de l’humanité vit dans la misère. En un mot, on ne peut pas lutter contre le terrorisme avec la main droite et nourrir avec la main gauche toutes sortes d’injustices dans les quatre coins de la planète. Tant que ces vérités demeurent ignorées, le monde continuera sa course vers l’abîme.