Mohamed Louadi, professeur universitaire à l’Institut supérieur de gestion et à la Mediterranean School of Business (MSB), spécialiste en système d’information, a bien voulu accorder une interview à leconomistemaghrebin.com. Il est revenu sur la relation université-entreprise, la problématique du chômage et les Tics en Tunisie.
L’interview a été réalisée en marge du Workshop international sur l’employabilité dans les secteurs de l’agriculture, des énergies renouvelables et des technologies de l’information en Tunisie, organisé par le Think-Tank Maghreb Economic Forum.
leconomistemaghrebin.com : A la lumière de la situation actuelle, quel diagnostic faite-vous de la problématique du chômage ?
Mohamed Louadi : Le problème s’est beaucoup compliqué pendant ces dix dernières années. Comme vous le savez, le taux de chômage se situe au niveau de 15,4%. Nous nous trouvons face à une situation paradoxale, en ce sens que des emplois existent mais il manque les profils adéquats pour les remplir. Ce qui revient à dire qu’il y a une forte inadéquation entre l’offre et la demande de postes d’emploi.
La première surprise : lors de la dernière enquête menée par l’Institut arabe des chefs d’entreprise, il a été démontré qu’il existe 145 mille emplois disponibles actuellement que les entreprises ont beaucoup de mal à pourvoir.
La deuxième surprise : les postes manquent, généralement, au niveau des ouvriers. Cela explique en effet pourquoi le nombre des diplômés de l’enseignement supérieur ne fait que grossir puisque les besoins des entreprises ne se situent pas à ce niveau-là. Quant aux ouvriers, c’est à la formation professionnelle d’y pourvoir.
La troisième surprise : les technologies de l’information et de la communication, le domaine que nous croyons à l’abri du chômage, lui-même pose problème. Nous avons 124 postes d’emploi occupés actuellement dans le secteur des Tics mais il existe également plus de 12 mille qui ne trouvent pas preneur dans le même domaine.
Pour résumer ce que je viens de dire, je dirais que le problème majeur de l’économie tunisienne est l’inadéquation entre la demande de postes d’emploi et la formation universitaire.
Pourtant ce n’est pas le seul problème ?
Il faudra institutionnaliser un Conseil impliquant trois ministères :le ministère de l’Enseignement supérieur, le ministère des Technologies, le ministère de l’Industrie et peut-être même le ministère de l’Emploi et la Formation professionnelle afin de réduire l’écart entre les besoins réels du marché de l’emploi et l’enseignement universitaire.
De nos jours on parle beaucoup du potentiel des Tic ?
On devrait cesser de considérer les Tics comme un axe vertical. Ce n’est pas l’affaire d’un seul ministère. C’est l’affaire transversale de plusieurs ministères. Les Tics sont devenus un moteur économique qui ne peut souffrir de mesures restrictives.
Que recommandez-vous à cet égard ?
Je recommande que les ministères communiquent entre eux, que les différents acteurs de l’économie numérique discutent entre eux. Il doit y avoir une feuille de route unique, celle du gouvernement qui doit coordonner entre les différents ministères concernés par l’emploi pour mettre en place une stratégie unique apte à combattre cette inadéquation chronique entre l’offre et la demande de profils appropriés. Il faut un plan clair au niveau gouvernemental, un peu comme la Tunisie digitale 2020, mais un peu plus réaliste quand même.
L’attachement à la fonction publique par un certain nombre de jeunes ne semble pas s’étioler ?
C’est une question de mentalité ! C’est l’université elle-même qui doit se réformer. L’université tunisienne, calquée sur l’université française, forme des exécutants. Je m’explique : cela veut dire que les gens qui viennent le matin, si le patron n’est pas là, ne font rien s’il n’y a pas un leader qui leur dit ce qu’il faut faire.
Cela nous amène à nous poser la question suivante : quel est le positionnement de l’université tunisienne par rapport à la problématique du chômage ?
Je pense que l’université tunisienne doit former des personnes qui vont créer de l’emploi et non des personnes pour occuper des postes aux ministères. Mais surtout former des gens qui peuvent apprendre par eux- mêmes parce que les emplois pour lesquels on forme aujourd’hui, peuvent disparaître demain.
Les expériences étrangères pourraient-elles nous être de quelque utilité ?
Je pense que nous ne pouvons pas réinventer la roue. Nous pouvons faire de notre retard un avantage. Ce qui a réussi ailleurs, adaptons-le à nos besoins, surtout en sortant des sentiers battus : la France, c’est fini, l’Allemagne c’est fini. Allons voir très loin, en Australie, il y a de très belles expériences concernant le rapport entre l’université et son environnement économique. L’Australie est en train de le faire avec brio. Mais sommes-nous prêts à appliquer des modèles anglo-saxons ? On a assez essayé le modèle français. Le modèle français a atteint ses limites mais les Français ont su surmonter les limites mais nous n’avons pas suivi.