Sadok Belaïd, ancien doyen de la Faculté de droit de Tunis, a accordé une interview exclusive à notre Magazine l’Economiste Maghrébin (n°690). L’union nationale exige, selon lui, des ingrédients qu’il ne trouve personnellement pas dans l’initiative du Président de la République. « Nous sommes loin de cet esprit d’union nationale », telle était son affirmation. Comment et pourquoi ? Extraits de l’interview.
L’Economiste Maghrébin : Un gouvernement à qui on prépare d’emblée une feuille de route et à qui on fixe à l’avance les grandes lignes d’action peut-il être efficace ? Peut-il exercer convenablement ses fonctions, être responsable d’une politique qui n’est pas la sienne ?
Sadok Belaid : Cet « oiseau rare » porteur d’une vision politique personnelle et de l’assumer par la suite n’existe malheureusement pas dans la classe politique actuelle. Il n’existe pas encore, disons, si je veux être un peu optimiste. Si réellement nous avions des hommes politiques de cette carrure, qui soient porteurs d’une vision et d’un projet pour la Tunisie, on l’aurait su. Et c’est précisément parce que ce genre de profil n’existe pas encore en Tunisie que les prétentions et les fanfaronnades se multiplient à une vive allure : la nature a horreur du vide.
Il n’en demeure pas moins vrai – et il faut s’en féliciter -, qu’il y a eu dernièrement quelques tentatives de production de visions et d’ idées, émanant de certaines personnalités comme Mehdi Jomaa, ou Mustapha Kamel Nabli. Ces personnalités ont essayé de former leurs propres sphères de réflexion et de combler ce vide, en proposant de nouvelles idées et des pistes de réflexion.
Pour revenir à votre question, si jamais on tombe sur l’un de ces oiseaux rares porteurs d’une vision et animés d’une véritable volonté de faire bouger les choses, sachez que « l’Accord de Carthage » n’est pas un texte sacré. Il peut être révisé, enrichi. Les auteurs de ce « manifeste » n’ont pas cherché à imposer leurs visions au prochain chef du gouvernement. Ils lui ont juste proposé des priorités et des pistes d’action qui pourraient l’aider à concevoir son programme.
Le prochain gouvernement sera-t-il réellement un gouvernement d’union nationale ? Aura-t-il le poids social suffisant ?
Comme je l’ai déjà dit, un gouvernement d’union nationale c’est une composition précise, qui doit respecter certaines règles. Dans un gouvernement d’union nationale, l’encadrement politique de la société et le poids social des partis sont des paramètres très puissants. En Tunisie, nous ne sommes pas encore dans cette configuration. Le corps politique est très dispersé et le poids social des partis n’est pas véritablement connu, pour être pris en considération. S’ajoute à cela, un fort taux d’abstentionnistes. Un gouvernement d’union nationale, c’est aussi un gouvernement de compromis qui regroupe différentes tendances. Des concessions sont à faire de part et d’autre. Or, dans le cas bien précis de notre configuration politique actuelle, le compromis est loin d’être atteint. Nous sommes donc loin de cet esprit d’union nationale. La prochaine composition gouvernementale peut être tout, sauf un gouvernement d’union nationale.
En dehors de cette initiative, selon vous, que doit-on faire en ce moment crucial, pour sauver la Tunisie ?
Il nous faut d’abord une grande mobilisation de la société civile pour sauver le pays. Le sentiment actuel de démobilisation générale ne doit pas perdurer. Le salut du pays est une responsabilité commune et partagée. Deuxièmement, il nous faut une grande mobilisation contre la corruption. Ce fléau ne cesse de prendre des proportions inquiétantes, devenant une lourde menace pour l’économie et pour la démocratie. Plus de la moitié de l’économie est entre les mains des mafieux, cela ne doit pas perdurer. C’est une hémorragie qui doit cesser immédiatement. Troisièmement, tout le monde doit comprendre que l’heure est aux sacrifices ! Chacun, à son niveau, selon ses moyens et ses possibilités, doit être prêt à faire des sacrifices, aussi lourds soient-ils.
Quatrièmement, il faut que tout le monde se remette véritablement au travail. Les études faites sur les taux d’absentéisme et les retards sont effrayantes et ne reflètent aucunement la volonté de relancer l’économie. Il faut aussi rationaliser les revendications sociales. Le moment n’est pas aux revendications démesurées et aux grèves sauvages et ruineuses pour le pays.
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