Monsieur le nouveau Chef du gouvernement, permettez-moi de vous dire que votre prénom est prémonitoire : vous portez une des plus lourdes responsabilités historiques de la Tunisie moderne. Vous êtes non seulement le « Youssef » messager de paix et de beauté, mais surtout vous êtes le « témoin » pour les trois années futures, des plus décisives dans l’histoire de la Tunisie moderne.
Loin de vous flatter Monsieur, mais voici que depuis janvier 2011 et passant par l’élection de Justin Trudeau en 2015 à la tête du gouvernement canadien, le peuple tunisien ne cesse de rêver du jeune leader sauveur qui guidera la nation vers un futur meilleur.
La révolution a été déclenchée et ravivée par des jeunes, la Tunisie c’est ce petit pays historiquement tatoué de multiples et de différentes couleurs civilisationnelles, notre terre bénie est joliment peuplée d’une mosaïque humaine ouverte et tolérante. Hélas, tout cela ne rime pas avec ce qu’on a vu défiler comme événements, faits et acteurs depuis le fameux janvier 2011.
Monsieur le Chef du gouvernement, veuillez noter en diagnostic de pré-action, pré-décision, pré-nomination et planification, ce que pense et perçoit le Tunisien de la politique et des politiciens depuis que les jeunes ont ouvert la porte de la liberté et de la démocratie : plusieurs politiciens ont trébuché au début par euphorie et se sont très vite cassés la nuque, d’autres plus chanceux ont appris la politique en prenant le peuple pour un cobaye; de vrais mafieux sont aussi apparus ou revenus pour profiter d’une bonne part du gâteau ; d’autres se sont obstinés à radicaliser la société au nom de la liberté.
Bref, le schéma politique en Tunisie a eu droit à une peinture multicolore de mauvais goût et où l’incompétence le dispute à l’opportunisme et aux atermoiements, non seulement aux yeux des jeunes mais également des moins jeunes.
Ainsi, cinq ans après, et devant une crise économique et sociétale des plus rudes et sans précédent et face au dégoût national à force de voir et écouter les vieilles figures et les langues archaïques, vous voilà apparu tel le jeune chevalier attendu, présumé sauveur de la situation pour prendre les rênes d’un Etat aux rouages gravement grippés.
Monsieur le Chef du gouvernement, ce que l’on ose bien espérer en ces moments et journées historiques est que vous soyez le Robin Hood des contes de fées ou le Bourguiba du 1er juin 1955. Il n’y a pas de hasard dans un monde tel que la politique, mais la date de votre nomination est une coïncidence significative. C’est en un 3 août que vous êtes appelé à prendre la tête du gouvernement, à la date de naissance d’un grand Leader, date revenue en cette année 2016 au goût amer au vu des déceptions et échecs.
Veuillez noter Monsieur le Chef du gouvernement que le 3 est un chiffre hors pair qui rappelle aux Tunisiens l’époque de la Troïka, que c’est un chiffre impair, qui peut signifier l’intrus qui désunit ! Dans une vision plus optimiste, on verrait aussi le 3 comme un signe de force créé par l’intersection et la complicité.
Monsieur le Chef du gouvernement, les Tunisiens sont arrivés aujourd’hui à un stade de nonchalance et de désespoir jamais atteints depuis la révolution. Ils n’osent plus rêver, n’osent plus croire. Le choix s’est porté sur vous parce que vous êtes avant tout jeune, parce que ceux qui vous ont précédé étaient beaucoup moins jeunes et critiqués sur ce critère précis. C’est le signe d’une grave crise de confiance. On devient incapable de percevoir la positivité des choses et dans les événements, on ne voit derrière les faits, les décisions et les nominations, que des tactiques et des calculs maléfiques, et l’on essaie donc de penser, de prédire pour se prémunir du futur.
Monsieur le jeune Chef du gouvernement, nous n’avons pas besoin de vous rappeler nos maux. Nous vous demandons juste d’agir et sans trop de mots. Nous avons besoin d’un leader courageux, d’un innovateur, d’un Manager décideur, et non d’un suiveur exécuteur et encore moins d’un beau parleur. Nous connaissons tous les problèmes centraux de notre pays. Les médias ne cessent de nous les rappeler et énumérer, et nous savons aussi que nous avons les compétences et les moyens requis pour dépasser le cap du désespoir.
Monsieur, il suffit juste de voir que, dans le rapport conjoint publié par la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et la Banque Mondiale (BM), les trois institutions financières internationales se sont arrêtées sur les freins qui entravent le développement du secteur privé dans la région MENA dont la Tunisie. Pour nous, la réponse fut courte et simple : « L’instabilité politique et le secteur informel freinent le développement du secteur privé en Tunisie ».
Alors Monsieur le chef chevalier, on vous demande de concentrer votre épée sur ces deux têtes de maux sclérotiques avant que ça ne métastase dans tous nos corps et esprits. Nous voyons en vous un « missionnaire » pour trois ans de guérison et pourquoi pas d’expansion et nous serons pour vous les patriotes « témoins » pour l’extraction de ces deux principaux maux.
A mes compatriotes aussi déçus les uns que les autres, lessivés et épuisés, je me permets de vous demander de vous ressaisir, de rêver encore de jours meilleurs, et croire comme au temps des « messagers » que le nôtre sera cette fois-ci plus fort que beau, et qu’il nous permettra de retrouver notre vivacité volée, violée et voilée.