Les femmes tunisiennes ont remporté de grandes victoires depuis l’indépendance, voire bien avant, depuis l’histoire de la reine guerrière connue sous le nom d’el Kahina, ou encore d’Elissa, la fondatrice de Carthage. Mais au fil des siècles, les revendications des Tunisiennes ont évolué, en matière de discrimination fondée sur le genre, les conditions de travail, le droit de vote… Grâce à leur militantisme et à leur combat sans cesse répété des droits acquis, la situation sociale des femmes s’est grandement améliorée, mais beaucoup reste à faire, car rien n’est acquis : les droits restent toujours fragiles et les inégalités persistent.
La Tunisie fait partie des rares pays au monde à célébrer deux fois la femme, le 13 août (fête nationale) et le 8 mars (fête internationale). A cette occasion, des femmes tunisiennes racontent leurs expériences, mais aussi leur vision de la situation de la femme d’aujourd’hui, car le combat est loin d’être terminé. Chacune d’elles relève les défis, tandis que d’autres militent parce que pour elles, ce n’est que le début d’une histoire.
Le rôle des femmes dans la société tunisienne a-t-il changé au fil du temps?
Maître Monia Bousselmi dresse le bilan de la situation actuelle, un bilan qu’elle juge négatif. « C’est alarmant parce qu’en matière des droits et des acquis des femmes, sur un plan socio-culturel, on voit de plus en plus la différence entre l’aspect institutionnel, qui demeure une théorie, et la réalité du terrain. D’ailleurs, je ne suis pas la seule à le constater. Il y a cette crainte des professionnels du droit commun. Par exemple, dans certains tribunaux des juges ne veulent pas traiter les cas d’adoption, car ils estiment que c’est immoral et contraire à la religion (chariaa islamique), alors qu’ils devraient se conformer à ce que dit la loi. »
Les femmes sont victimes de violence. C’est un fait que l’avocate rencontre dans les tribunaux. « Quand une femme est violentée par son mari et va porter plainte au poste de police, vous savez ce que lui répond le policier : de rentrer chez elle, il trouve que c’est normal qu’un homme batte sa femme de nos jours. Et voilà où nous en sommes aujourd’hui. Il est temps pour ce gouvernement ou le suivant, de mettre en place les mécanismes requis afin de protéger les droits des femmes, les préventions, les sanctions pour ceux qui n’appliquent pas la loi. Cela nécessite une grande mobilisation de toutes les femmes tunisiennes, car personne n’ira défendre à notre place si nous ne nous défendons pas par nous-mêmes. Alors je di :, mobilisons-nous! »
Soixante ans après le Code du statut personnel
Il est temps de faire un bilan, de ce qu’on a réalisé et des défis à relever. Samira Meraï Friaa, ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfance explique: « Avant d’être ministre, je suis avant tout un médecin, une femme de terrain; et de Bizerte à Tataouine, je connais la condition féminine. C’est vrai qu’aujourd’hui, nous avons une Constitution qui parle d’égalité, mais il faut des textes d’application. Nous avons un projet de loi relatif à la violence faite aux femmes qui est un exploit, car il reflète plusieurs thèmes, la violence économique, psychologique, la discrimination au niveau du salaire… Il est anormal par exemple que dans les milieux ruraux, la femme ne touche pas le même salaire que l’homme pour un travail identique. C’est honteux pour un pays qui parle d’égalité. »
De ce fait, il faut améliorer les conditions des femmes en tant que vecteur économique, souligne-t-elle. « Jusqu’à maintenant, on parle de développement inclusif et durable. Jusqu’ici la femme dans son milieu est considérée comme une femme et non comme un leader dans n’importe quel domaine. Mais plus encore, nous vivons dans une société où la femme prend tout sur elle. C’est une évidence que la femme tunisienne est à la fois forte et combattante, mais il est aussi du rôle de l’Etat d’assumer sa responsabilité, en l’appuyant dans sa démarche », conclut-elle.
Par ailleurs, Sana Fathallah Ghenima, chef d’entreprise, nous confie « qu’on ne peut qu’être fière du code du statut personnel ». Et de poursuivre : « Cependant, si je dresse un bilan aujourd’hui, nous sommes insatisfaites. Pourquoi? Parce qu’il y a un décalage entre la législation et sa mise en application. Après la révolution, nous avons régressé en termes de visibilité. Quand on se souvient de ce qui s’est passé le 13 août 2012, ce qui a été dit à l’ANC, que la femme est complémentaire de l’homme, alors que nous sommes des femmes à part entière. Même si aujourd’hui, nous avons une garantie de la Constitution qui évoque l’égalité homme-femme, encore faut-il respecter le principe de l’égalité, ce qui n’est pas encore le cas actuellement. A l’ARP, la parité verticale a atteint seulement 33%. Ce qui fait que nous n’avons pas assez de représentation et qu’il faudrait travailler davantage. »
Selon Mme Fathallah Ghenima, sur un plan politique, les lobbies qui existent sont essentiellement masculins, la femme en est bien souvent écartée. « Vous savez, le lobby n’a jamais été quelque chose de positif, ce ne sont pas la compétence, l’engagement ou le courage qui sont mis en exergue, mais autre chose. Et on comprend mieux pourquoi la femme est mise hors-jeu, car elle n’a pas sa place dans le jeu des loyautés partisanes. Mais quand il y a des conflits, ce sont toujours les femmes qui construisent, qui calment et c’est là où réside notre force. Pour le 13 août, continuons à être solidaires, car nous sommes encore plus vulnérables, particulièrement les jeunes qui ont besoin de notre soutien », conclut-elle.
Les femmes tunisiennes sont tenaces, perspicaces et veulent toujours aller de l’avant. C’est à travers elles que la Tunisie se construit. Il faut continuer le combat en tant que femmes, car il ne s’arrête pas au 13 août.