Les hommes médiocres jouent un grand rôle dans les grands événements uniquement parce qu’ils se sont trouvés là. ― Talleyrand
L’ironie joue un rôle considérable dans l’histoire, si tant est qu’il y ait une quelconque ironie à tout ce que nous subissons. Les «islamistes modérés», dixit leurs protecteurs, ceux qui par enserrements reptiliens asphyxient les Tunisiens insensiblement, se sont convertis à la «tactique du salami» et l’utilisent pleinement. Cette expression a été conçue par un chef du parti communiste hongrois, au début des années 50, pour décrire l’élimination progressive des pouvoirs externes au communisme dans le pays. Semaine après semaine, mois après mois, ce stalinien s’en prenait aux libertés comme on découpe un trivial saucisson, tranche après tranche, jusqu’à dominer la société sans partage. C’est une tactique qui semble leur réussir jusqu’à maintenant. A l’intérieur de leur projet global et dans la marche vers leur objectif ultime, ils opèrent des mesures ponctuelles d’adaptation aux circonstances et des manœuvres, combinant les moyens disponibles pour réaliser les fins planifiées, jusqu’à ce fameux énième gouvernement en gestation. Tout le monde l’a ressenti, constaté et bien assimilé.
Seulement, à l’ironie de l’histoire s’ajoute l’ironie du sort! Un train peut en cacher un autre! Une suite ininterrompue d’aberrations, à la fois risibles et cruelles, se déploie. Le problème majeur réside toujours dans la manière et les moyens disponibles pour contrer cette avancée terrifiante des «marchands du temple». La panacée parut avoir été trouvée à travers le légendaire vote utile, en 2013. Mais ce suffrage a démontré sa nullité et son absurdité au contact de l’attitude de ceux qui en avaient bénéficié. Au lieu de faire honneur aux engagements pris, c’est exactement le contraire qui est perpétré : une alliance perfide entre de grands partis qui, néanmoins, s’étriperont de plus belle pour le butin sur le dos du bon peuple. L’ironie du sort réside dans l’escroquerie électorale qui a accouché d’un vrai mensonge. Hypocrisie ou mauvaise foi, qu’importe, car c’est seulement ainsi que l’énorme mensonge a pu être opératoire. Mais il n’y a rien à attendre, la condition du mensonge est l’incertitude et la duplicité.
L’ironie du sort qui se joue contre toute attente des apparences, des comportements et des volontés humaines, est aussi un cruel démenti à des positions affirmées la main sur le cœur. Elle ne provoque plus chez les Tunisiens qu’un rire amer, un rire jaune et un rire sans joie comme une protection face au désastre. C’est sans doute la raison pour laquelle, finalement, rien ne nous fait plus rire. On a cru un jour avoir dégagé un satrape, mais on a gardé l’esclave qui est en nous, la faillite est enfournée dans les têtes avant les banqueroutes qu’on nous annonce pour nous intimider. Ces gouvernants du hasard considèrent les gouvernés comme des esclaves et le pays comme leur propriété privée. Et nous continuons à marcher à reculons vers l’avenir, les yeux tournés vers le passé. Un vrai cauchemar !
Avec Bourguiba, sur le crépuscule de sa vie, les Tunisiens ont appris le langage non verbal au moment de ses apparitions au journal télévisé. Ils se sont initiés à traduire ses mimiques, ses gestes, son état émotionnel pour décoder ce qui se passe exactement dans le microcosme. Il y avait un mélange de compassion pour le vieil homme, qui avait rendu jadis de grands services au pays, comme de la lassitude face à une situation qui perdure et qui obstrue l’avenir. Avec l’actuel pensionnaire de Carthage c’est plutôt les discours biaisés et soporifiques, les non-dits, les mi-dits inquiétants et les «ne pas dire» servis à la masse dans les médias avec morgue, usant de subterfuges pour empêcher de déceler les desseins réels et les intentions cachées.
Finalement, on découvre qu’il y a accointance aussi― pour éviter d’user du mot consensus tant rabâché et dénaturé― sur l’emploi de la «tactique du salami», puisque l’actuel pensionnaire de Carthage l’adopte aussi dans une pièce de théâtre bien compliquée qu’il vient de réaliser pour déloger, dans une attaque planifiée, un chef de Gouvernement qui ne lui sied plus. Il a utilisé toute une gamme de procédés avec un dosage subtil qui va de l’action sur l’esprit de la cible pour l’amener à renoncer à toute résistance et obtenir les infléchissements de sa volonté, appuyée par des vecteurs de communication comme supports techniques des messages qu’il entend transmettre, usant de l’effet de surprise, lançant des leurres… Vu de l’extérieur, c’est un véritable imbroglio, les cartes ont été tellement brouillées. Les acteurs et les figurants conviés ne savent plus où donner de la tête! Il les avait bien eus!
Pendant tout ce temps perdu, le gouverneur de la Banque Centrale Tunisienne et le vice-gouverneur peuvent quintupler leurs salaires, les barons de la contrebande peuvent amasser leurs fortunes paisiblement en «achetant» ou en «louant» des routes. Alors qu’on nous amuse à attraper de la petite friture, les requins continuent à sévir. La corruption continue à s’étendre derrière l’écran de fumée des nouvelles administrations qui s’affairent à compter les dossiers de corruption déposés. Piètre consolation ! L’extraction de phosphate est entravée dans un silence assourdissant…
Avec tous ces fléaux qui dévastent l’économie, le chef de gouvernement auguré continue son bonhomme de chemin à tenter de composer un cabinet par ricochet. Il a tout son temps, rien ne presse et dès qu’il réussit, il va transformer les citrouilles en carrosses ! Dormez tranquilles braves Tunisiens et soyez fiers, nous avons 6500 millionnaires et 70 milliardaires, occupant ainsi la 7ème position dans le continent africain, avant la Libye, le Maroc et l’Algérie, (d’après une fondation des statistiques américaine New Word Wealth) ! La «tactique du salami» a de beaux jours devant elle, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à découper. La prédation peut continuer avec la bénédiction de la Banque Mondiale, du FMI et sous la protection de l’USAID…