Fait d’évidence, le nouveau gouvernement a pris en compte les rapports de forces politiques. Pouvait-il transgresser la donne électorale, qui constitue le postulat de tout régime démocratique! Mais l’exigence de satisfaire les acteurs de la nouvelle coalition explique le nombre élevé des charges gouvernementales : 26 ministres et 14 secrétaires d’Etat.
Dans la conjoncture de crise, un gouvernement élargi multiplie les traitements, les frais de représentation et les centres de décision. On aurait souhaité un gouvernement bien plus restreint. Elargissement de la coalition, elle comprend désormais Nidaa Tounes, Ennahdha, Afek Tounes, Al-Joumhouri, al-Massar et l’lliance démocratique. Une représentation indirecte de l’UGTT, lui a assuré le choix de deux anciens dirigeants. Cerise sur le gâteau, un anti-Bourguiba déclaré intègre le gouvernement.A
Le système des quotas a permis la domination des deux grands partis : Nidaa Tounes s’est taillé la part du lion, en dépit de la faible représentation de sa direction actuelle et du déficit de son audience : quatre ministres et quatre secrétaires d’Etat. Absence de consensus, sa direction a présenté une cinquantaine de CV. Ennahdha a augmenté sa représentation. Elle a en effet réussi à obtenir six sièges (trois ministres et trois secrétaires d’Etat). Mais cette distribution lui assure de grandes charges (commerce, industrie, formation professionnelle, emploi, technologie et commerce électronique). Le parti Afek a été redimensionné : il n’obtient que deux sièges. Les autres partenaires bénéficient d’une représentation symbolique.
Une telle « mosaïque » serait-elle en mesure d’assurer l’harmonie, en annihilant les discours fondateurs? Fait d’évidence, la formation du gouvernement s’est limitée au choix des personnes, aux dépens des programmes, laissés aux oubliettes. La feuille de route de Carthage ne dépasse pas les titres des priorités définies, sans examiner les programmes d’application et les positions idéologiques, supposant l’existence d’un consensus entre la droite, la gauche et les islamistes, les discours libéraux et pseudo-marxistes. Vu les divergences, le compromis ne pourrait guère dépasser le statu quo et les réformettes pragmatiques.
Neuf ministres gardent leurs charges. La priorité sécuritaire explique le maintien des ministres de l’Intérieur et de la Défense. Mais d’autres ministères clefs auraient pu bénéficier d’un changement salutaire. Les velléités de former un gouvernement de technocrates a été mise à l’épreuve par le système des quotas. La composition du gouvernement atteste cependant d’une recherche de compétences, en matière de finance, d’économie, de gestion et de recherches universitaires. Comment compenser un manque d’expérience politique ? Comment reconstruire le compromis sur le terrain, des technocrates et des politiques?
En dépit de ces concessions à la classe politique, le nouveau gouvernement est l’objet de critiques. Ennahdha le soutient, mais exprime des réserves. Le parti Afek considère que sa participation est un devoir national dans cette étape décisive de l’histoire du pays. Mais il affirme que « l’équipe de négociation a été priée de revenir vers le chef du gouvernement désigné pour reprendre les pourparlers et lui faire part des points de divergence » (réunion du Conseil National, 21 août 2016). 19 députés de Nidaa Tounes menacent de démissionner, contestant la composition du gouvernement (déclaration du président de son bloc parlementaire, dimanche 21 août 2016, à Mosaïque Fm). Ce parti puzzle, divisé par le trop-plein des concurrents, laisse planer l’ambiguïté. Contexte favorable aux débats et à la confrontation idéologique, le nouveau gouvernement devrait se mettre à l’écoute de l’opinion et inscrire comme priorité ses attentes.