Avec la multiplication des attentats de par le monde, nul ne peut affirmer désormais qu’il est en sécurité, quel que soit l’endroit où il se trouve. La sensation permanente d’être en danger amène à la méfiance et parce que le terrorisme s’attaque aux aspects les plus simples de notre quotidien, des gestes parfois anodins deviennent suspects.
Les actes terroristes ne visent pas seulement à instaurer un climat de suspicion et de peur. En effet, des réactions à chaud peuvent s’accompagner de violences et de stigmatisation difficilement explicables de manière rationnelle.
Ce qui se passe en France en est un parfait exemple. Il est en effet facile de faire le lien entre les attentats de Nice et le « durcissement de ton » à l’égard de la communauté musulmane, dont les femmes en font les frais. La polémique autour du burkini, un habit de plage dont l’innocuité n’est pas à démontrer, montre bien que la tension est à son comble, au point que la classe politique française se sente investie d’une mission, celle de décrypter les motivations politiques de femmes qui voudraient profiter de la mer, en étant couverte. Le burkini devient soudainement un outil de propagande intégriste, mais outre certaines interprétations hasardeuses quelle pourrait engendrer, la stigmatisation est allée jusqu’à comparer les femmes voilées intégralement aux nazis « qui ont exterminé des gens » selon les dires de Nadine Morano, députée européenne et ancienne ministre de l’Apprentissage et de la formation professionnelle française.
Par ailleurs, aux Etats-Unis, un imam et son assistant ont été assassinés par balles, à proximité d’une mosquée située dans le Queens (New York) et même si les motivations du meurtre ne sont pas encore connues, la piste du crime de haine n’est pas exclue.
Comment explique-t-on que la victime devienne aussitôt bourreau?
Le cœur de la réflexion, autour de cette question repose sur la notion de peur. Comme le dit le Cardinal de Retz : « De toutes les passions, la peur est celle qui affaiblit le plus le jugement. »
Et comment comprendre le terrorisme si l’on nie ses acteurs dans leur propre existence? Dans un consensus commun, les terroristes voient leur statut changer d’humains à d’êtres monstrueux et sans âme. Leur acte suscite leur condamnation radicale, mais peu nombreux seront ceux qui voudront connaitre leur réelle motivation et au-delà même de la réaction passionnelle, il y a un refus de compréhension de l’acte. De cette incompréhension, nait le rejet, non pas envers l’auteur lui-même, mais envers ceux qui partagent avec lui certaines caractéristiques. Ceux qui en font les frais sont ceux qui seront perçus comme différents, une source de danger pour la majorité.
De cette méconnaissance, et de ce rejet « en bloc », de ceux qui seraient susceptibles de mettre en cause les règles du vivre ensemble, nait l’animosité et un désir de vengeance qui ne contribuent certainement pas à améliorer la situation.
De plus, du fait que le terrorisme instaure un climat de peur ambiante, l’individu ressent le besoin de se protéger. Or pour cela, il est impératif de l’identifier. Seulement comme les auteurs d’actes terroristes ne présentent pas de « signes distinctifs », permettant de les différencier du reste de leur communauté, c’est la communauté musulmane dans son ensemble qui inspire une méfiance de plus en plus grande et est présentée comme un danger potentiel.
La multiplication d’évènements anxiogènes amène à adopter aussitôt des mesures concrètes et immédiates, pour se rassurer quelque part. Avec la militarisation de la lutte contre le terrorisme depuis le 11 septembre 2001, il est facile de présager dans ce contexte les conséquences d’une politique anti-terroriste féroce, menée contre un ennemi que les acteurs politiques eux-mêmes ont du mal à identifier.
Ainsi parmi ces mesures, on note le renforcement des contrôles d’identités et des mesures de surveillance, envers une catégorie ciblée de la population, essentiellement composée de personnes d’origine étrangère, ou de citoyens issus de l’immigration. D’un autre côté, l’intensification de la répression envers une population « désignée » amène à un sentiment d’injustice, à la colère, au repli identitaire et au communautariste. L’aboutissement final de ce mécanisme est sans grande surprise la naissance d’une rancœur et d’une envie de se venger contre celui qui a instauré cette dérive sécuritaire.
Ce cercle vicieux ne fait-t-il pas le jeu des terroristes, ne les aide-t-il pas à attirer d’avantage de recrues? Les terroristes n’avancent-ils pas l’argument d’une communauté musulmane mise en danger par l’Occident et qu’il est impératif de défendre, quitte à recourir à toutes formes de violence?
Le but ultime du terrorisme n’est peut-être pas d’instaurer un climat anxiogène dans le monde, mais plutôt de remettre en cause les règles que nous avons consensuellement établies pour cohabiter malgré nos différences, sans oublier que le terrorisme est né du rejet et de la négation de l’autre.