Calomniez, calomniez, il n’en restera rien. Cette interprétation détournée d’une réplique devenue célèbre du Barbier de Séville de Beaumarchais, illustre je crois, on ne peut mieux, le cas Youssef Chahed intronisé chef de gouvernement par le président de République dans une tentative de faire bouger les lignes, et qui à l’arrivée, s’est avérée plus compliquée que prévue.
Sous le feu nourri des projecteurs et des critiques depuis qu’il a changé de statut, passant d’un simple ministre d’un gouvernement démissionnaire à celui d’un sauveur de la Nation très attendu, M. Chahed donne l’air de piétiner malgré toute sa bonne volonté. J’espère pour lui, que le costume qu’il vient d’endosser ne sera pas trop grand. Heureusement, il a pour lui sa jeunesse, son enthousiasme et sa volonté de faire taire les mauvaises langues qui pensent qu’il est inapte à la fonction.
Pour être en adéquation avec les contraintes imposées par la configuration politique née des élections de 2014, il consulte à tour de bras au risque de se perdre en conjectures et de faire perdre un temps précieux au pays qui attend qu’on le sorte du sale pétrin dans lequel ses politiciens irresponsables l’ont fourvoyé. On peut souhaiter qu’il saura montrer qu’il peut s’affranchir de la pesanteur étouffante et inhibitrice de la tutelle de la majorité au pouvoir. A cet égard, je continue de penser qu’il a toutes ses chances. Il pourra toujours mettre sa démission dans la balance si quelque part, il est empêché de mener à bien sa mission, chose que M.Essid n’a pas hélas su faire. Je lui conseillerais d’avoir son alter ego canadien Justin Trudeau dans son rétroviseur, cela, pourrait lui servir d’exemple.
Peut-on lui faire confiance? Je crois que oui, même si le spectacle offert par le remue-ménage et le remue-méninges de Dar Edhiafa, n’invite guère à l’optimisme. On peut aussi se demander si le soutien du président de la République lui restera indéfectible, ou bien sautera dés les premières anicroches? Le chef du gouvernement désigné espère être l’homme de la situation et ne voudrait surtout pas apparaitre comme le fils spirituel de… même si, il ne peut nier qu’il est bien le petit-fils de cette authentique militante de la cause féminine qu’a été Radhia Haddad et que son oncle Hassib Ben Ammar appartient à une lignée de militants qui ont beaucoup donné à ce pays. Un Chahed qui comme vous le voyez, a de qui tenir, et qui est fermement décidé à jouer dans la cour des grands. Et sur ce que l’on a vu à Dar Edhiafa en matière de marchandages politiques, on peut dire qu’il a une chance unique de forcer le destin et en finir avec la dictature néfaste des clans et des lobbies pour imposer son style.
Mauvais signal
Deux images aperçues à la télévision ont particulièrement attiré mon attention et dispensent de tous les commentaires : celle de Mohsen Marzouk, secrétaire général de Mechrou Tounès franchissant le portail de Dar Edhiafa un immense machmoum à la main comme s’il était en villégiature, ce qui vous donne une idée sur l’état d’esprit de ce dernier et sur ses prédispositions. Si c’est de la décontraction, je trouve que M. Marzouk en fait trop. Une désinvolture que l’on peut regretter? Très certainement. Ensuite, cette image disgracieuse d’un Noureddine B’hiri alourdi par l’embonpoint, et qui déborde de partout victime d’un appétit vorace qui n’est pas que culinaire et qui vous donne encore une fois, une idée sur les velléités de la formation qu’il représente, qui, non contente d’avoir mené le pays à la dérive, veut récidiver.
Et ce n’est pas un parti comme Hizb Ettahrir qui vient de voir ses activités suspendues pour un mois par la justice, qui va s’en plaindre. On peut se poser la question : pourquoi une telle sanction, alors qu’il aurait fallu interdire purement et simplement cette formation qui a franchi toutes les lignes rouges et qui continue à défier en toute impunité l’autorité de l’Etat? Mais quel message veut-on envoyer à la population? N’est-ce pas là un encouragement à plus d’arrogance et à la poursuite d’un sombre dessein? Je ne pense pas qu’une telle condamnation va rendre le site Tunisie plus attrayant et convaincre les hésitants que le pays est sur et qu’il peut offrir de nombreuse opportunités d’investissement.
Qu’en pense M. Chahed? Voilà un vrai défi idéologique et politique dont il ne peut faire l’économie sous couvert qu’il faut laisser la justice faire son travail. Le laxisme, on le sait, est le meilleur allié des fossoyeurs de ce pays qui n’ont même plus besoin de se cacher pour agir. Les écervelés de Lille qui ont pris d’assaut le marché de cette ville du nord de la France, pour déclarer la guerre aux cochons, s’inscrivent dans cette même logique provocatrice et je crois qu’à ce niveau, nos missions diplomatiques et consulaires ont beaucoup à faire auprès de nos compatriotes, pour leur rappeler certains principes comme le respect absolu des croyances et du mode de vie des gens qui ont bien voulu les accueillir; et que si l’obtention de la nationalité leur donne des droits, elle leur impose aussi des devoirs. Que dans ce contexte, le nom de l’ancien ministre de Mitterrand Jean-Pierre Chevènement, farouche défenseur de la laïcité et ennemi juré des intégristes, soit pressenti pour présider aux destinées de la Fondation de l’islam en France, ne peut être qu’une excellente nouvelle pour le dialogue entre les religions dont je rappelle qu’il a été initié par le défunt Pape réformateur Jean-Paul II, et qui depuis, vacille à chaque coup donné par extrémistes de tous bords.
A ne pas douter, les challenges sont nombreux et à hauts risque. Mais qui ne risque rien, n’a rien comme dit l’adage, et ce serait vraiment dommage que le nouveau chef du gouvernement se laisse ligoter comme l’a été son prédécesseur Habib Essid, parce que des agendas politiques douteux l’auraient voulu. Je reste persuadé que même si l’élan révolutionnaire s’est effiloché et qu’il risque de ne devenir qu’un vague souvenir, M. Chahed peut conjurer le mauvais sort qui frappe le pays depuis plus de cinq ans et engager des réformes en profondeur que tout le monde attend. Et puis, il ne doit pas perdre de vue que derrière l’impossible, il y a toujours un possible et les JO de Rio 2016 nous ont offert deux semaines durant un exemple parfait de tout ce qu’il est possible de faire en matière d’effort, d’abnégation et de don de soi, j’ajouterai et de stratégie sportive. On ne participe pas à un tel évènement avec uniquement de bons sentiments. Cela vaut aussi en politique.
Femmes en colère
Le président de la République a certainement du souci à se faire, et comment! En plus de la tournure prise par son initiative de former un gouvernement d’union nationale qui tarde à prendre forme, voilà que les femmes s’en mêlent, même si c’est bien grâce à elles qu’il est là où il est. En pastichant Simone de Beauvoir l’auteur du fameux Deuxième sexe, je dirais qu’elles ont voulu lui rappeler qu’on ne nait pas président, mais qu’on le devient et que Carthage, sans le concours des femmes, n’aurait pas été possible. On ne peut pas jouer avec la patience et les nerfs de celles qui vous ont fait roi (Elles sont un million, soit l’équivalent du nombre de ceux qui ont donné à Ennahdha la deuxième place du podium), sans payer un tribut. Se sentant trahies, certaines comme l’universitaire Olfa Youssef pour ne citer que la plus emblématique et la plus médiatique d’entre-elles, ont voulu à leur manière dire non en boycottant la cérémonie organisée à Carthage à l’occasion de la célébration du soixantième anniversaire de la promulgation du Code du statut personnel et de la Fête de la femme et ce, pour bien lui signifier qu’elles n’étaient pas d’accords avec son rapprochement contre nature avec les islamistes d’Ennahdha dont on connait le projet qu’ils nourrissent pour la femme en Tunisie.
Rappeler, mais aussi avertir qu’elles ne resteront les bras croisées et que la formation du président pourrait en faire les frais. Le message est d’autant plus clair, qu’il a été relayé par les réseaux sociaux. On peut supposer qu’il a été entendu. De quelle manière? La composition du futur gouvernement d’union nationale nous donnera peut-être un indice intéressant, même si on sait d’avance que ce n’est pas demain que l’Accord de Paris va être remis en question; et on peut compter pour cela sur l’habilité de cheikh Rached Ghannouchi pour maintenir les choses en l’état, à moins que ne survienne un évènement suffisamment grave pour voir la donne changer tout d’un coup.
Pour conclure, il n’y a mieux que ce bon mot de Talleyrand sur la femme : « Là où tant d’hommes ont échoué, une femme peut réussir. » Cela, devrait sans doute inspirer M. Chahed. A la prochaine.