Alaya Allani, historien et chercheur à la Faculté des Lettres de La Manouba livre son analyse sur la composition gouvernementale de Youssef Chahed aux lecteurs de leconomistemaghrebin.com.
– Que pensent les détracteurs et les défenseurs du gouvernement Youssef Chahed?
En préambule, Alaya Allani a indiqué que certain estiment que le gouvernement de Youssef Chahed est le gouvernement des nominations partisanes alors que d’autres qui pensent que c’est un gouvernement de sauvetage pour la Tunisie.
Les défenseurs de Youssef Chahed et de son équipe se basent sur le fait que la nouvelle équipe est une coalition composée de plusieurs partis politiques prête à contrer plusieurs dangers. C’est d’abord un danger économique, puis la persistance des dangers sécuritaires notamment parce que le paysage politique en Libye ne s’éclaircit pas. Enfin, le péril que représentent les terroristes retournés des zones de conflit.
Par contre les détracteurs de la composition de gouvernement Youssef Chahed avancent trois raisons pour s’y opposer.
En premier lieu, ils considèrent que c’est un gouvernement incapable de résoudre le problème du chômage, en deuxième lieu, ils considèrent que c’est un gouvernement dont la mission est de vendre une bonne partie des institutions publiques au secteur privé. Et en troisième lieu, ils estiment que l’équipe en question est incapable de lutter contre la corruption, étant donné l’existence de lobbies de corruption au sein du gouvernement d’après eux. S’ajoute à cela que le gouvernement contient 26 ministres et 12 secrétaires d’Etat dans un contexte économique sévère.
Voici pourquoi ce gouvernement a été mis en place
Livrant sa propre analyse, Alaya Allani indique que trois raisons se cachent derrière la formation du gouvernement. Selon lui, il s’agit du partage des difficultés dans l’avenir notamment en ce qui concerne l’aspect économique, permettre à Nidaa Tounes de résoudre ses problèmes internes et l’équilibrage des rapports de force afin que mouvement Ennahdha ne s’accapare pas le pouvoir tout seul.
La sécurité et l’économie sont bel et bien prioritaires
D’après notre interlocuteur la réussite du gouvernement demeure tributaire de la réalisation de deux défis : économique et sécuritaire.
Un défi économique qui intervient à un moment où les investissements étrangers connaissent une régression considérable et l’exportation qui peine à se relancer, l’augmentation de l’endettement, la dissolution de la classe moyenne qui est le noyau de l’économie et garante de la paix sociale.
Ainsi la relève du défi économique est tributaire d’un minimum de paix sociale, de la mise en place de la culture du travail et de la productivité et de la discipline au sein des entreprises, de la diminution des sit-in et des grèves et de l’élaboration d’un nouveau modèle de développement capable de fournir les services de base pour les démunis et la classe moyenne, interdisant la liquidation les institutions stratégique de l’Etat.
En ce qui concerne le défi sécuritaire, Alaya Allani, propose : la mise en place d’une stratégie pour contenir les terroristes rentrés des zones de conflit, la mise en place d’une stratégie pour agir contre les cellules dormantes en Tunisie, estimées selon plusieurs rapports à 1000 à 2000 personnes et dont le nombre varie selon la situation interne et externe. « Si la paix sociale est menacée et l’harmonie est absente entre l’équipe gouvernementale, cela donnera aux cellules dormantes une chance de commettre des attentats terroristes », s’alarme-t-il. Le chef du gouvernement doit dire toute la vérité aux Tunisiens, le sacrifice doit être partagé par toute la classe politique, recommande-t-il.
Ainsi le gouvernement Youssef Chahed doit se préparer à un congrès pour la lutte antiterroriste pour déterminer une vision globale de la façon dont il faut se mobiliser à la lumière des changements stratégique dans le monde. Cette stratégie doit se baser sur le concept de la sécurité globale d’après le spécialiste et la préparation d’un discours religieux alternatif.
Dans la même perspective, notre interlocuteur a indiqué que le ministre des Affaires religieuses au sein du gouvernement Youssef Chahed n’est pas apte à élaborer un discours religieux alternatif. « Etant donné qu’il est proche de l’Islam politique, c’est une fausse note dans le gouvernement actuel et il ne doit pas rester longtemps à la tête du ministère, car le poste est sensible. Ce ministère s’adresse à des millions de personnes habituées aux mosquées où elles entendent des discours qui n’ont rien à voir avec la modération », précise-t-il.
Et de rappeler que les espaces religieux n’ont pas connu de changements profonds, « d’ailleurs, plusieurs analystes considèrent que c’est une bombe à retardement », avertit-t-il.
Le gouvernement de Youssef Chahed pourrait réussir si le parti qui le soutient, Nidaa Tounes, surpasse ses conflits internes et retrouve ses membres sortants. Il faut réviser la Constitution pour la mise en place d’un régime politique présidentiel mixte avant les élections de 2019 et ce pour créer un minimum de stabilité politique. « Cela pourra préparer à la période post BCE, qui ne pourra pas présenter sa candidature en 2019 », dit-t-il.
La préparation de la période post BCE doit se faire à feu doux grâce à des pôles politiques actifs. « Mais maintenant, ce sont seulement les islamistes qui tirent profit de la crise, qui va s’approfondir », indique-t-il.
L’absence d’investissements des pays du Golfe en Tunisie, notamment les Emirats Arabes Unis est dû à la dominance du mouvement Ennahdha sur la scène politique ce qui envoie un signal négatif aux investisseurs. « Le Mouvement Ennahdha présente encore un danger sur la Tunisie, mais il est capable de fournir des efforts et des réformes pour que l’opinion publique se rassure », avance-t-il
Cependant, le gouvernement Youssef Chahed, dont Béji Caïd Essebsi était l’artisan, a pu limiter les problèmes dans la famille de Nidaa Tounes et perturber le Front populaire. Il a ainsi favorisé l’entrée d’un ministre issu de Watad. Par ailleurs, « la venue de Samir Taïb (gauche modérée) au sein du gouvernement a créé une fissure au sein du Front populaire ». Le gouvernement a envoyé des signaux codés au Mouvement Ennahdha, en leur disant de délaisser le double discours, la double structure et de s’éloigner des ministères de souveraineté. En contrepartie, il ne sera pas jugé pour ses fautes graves en matière de sécurité et d’économie pendant la période de la Troïka.