« C’est du populisme, des tractations politiques et cela ne tient pas la route ce genre de proposition ! » C’est ainsi que Nabil Abdellatif, le président d’honneur de l’Ordre des experts comptables de Tunisie a qualifié la revendication appelant à donner au gouvernorat de Gafsa un pourcentage des revenus dégagés du phosphate et générés par la Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG). L’expert comptable ne manque pas d’argument pour étayer ses propos…
Une revendication qui ne date pas d’hier
Celui qui connait les jeunes de Gafsa sait pertinemment que cette idée circule parmi eux depuis des années. « Si on donne à Gafsa un pourcentage des revenus du phosphate, tous les problèmes seront bel et bien résolus »; ou encore « comment se fait-il que nos jeunes chôment, alors que notre gouvernorat est générateur de richesse? » Ce genre d’expressions est familier. C’est même du déjà vu.
Quelques politiciens ont déjà surfé sur la vague et ont tiré la carte du phosphate, en criant la même proposition sur tous les toits. Trois exemples sont à rappeler : celui, du président provisoire Moncef Marzouki qui avait proposé, un certain juin 2012, d’accorder 20% des revenus du phosphate au Gouvernorat de Gafsa. Puis Rached Ghannouchi, leader du mouvement Ennahdha qui avait appelé, lors de sa visite au gouvernorat de Gafsa, à lancer les négociations et les concertations sur le même sujet. « Il est inconcevable que Gafsa dispose de richesses et que ses jeunes chôment », avait-il dit.
Et le dernier en date est Sofiène Toubel, député de Nidaa Tounes (gouvernorat de Gafsa), qui vient de s’exprimer, aujourd’hui 2 septembre sur les ondes radio, en exigeant un pourcentage de 20% des revenus de la production du phosphate pour le gouvernorat.
Mais que dit la logique économique?
Loin des tractations et de la surenchère politiques, ainsi que de l’excès de zèle, Nabil Abdellatif balaie d’un revers de la main le raisonnement des défenseurs de cette revendication et il n’y va pas par quatre chemins.
Qu’un politicien vienne annoncer des pourcentages de ce genre est une faute économique et une faute de communication à la fois. « Parce que chaque citoyen a le droit de bénéficier des services fournis par son Etat, peu importe à quel gouvernorat il appartient », argumente-t-il.
Dans le cadre de la décentralisation, les gouvernorats auront leurs propres conseil régionaux et qui disposeront de leurs propres ressources (revenus provenant des richesses de la région, taxe sur la pollution s’il y en a et autres) ; s’ajoute à cela les transferts sociaux entre les régions qui assurent la complémentarité entre les régions.
Ainsi, le jeune expert comptable a regretté l’absence de toute logique économique dans les propos des défenseurs de cette revendication.
Le jour où les conseils régionaux seront mis en place, leur budget sera financé par les richesses des régions et les taxes sur les entreprises polluantes. « Le principe existe mais il faut l’utiliser, tout en respectant l’esprit de la constitution et pas le libre arbitre », affirme-t-il.
L’Expert comptable a proposé la création de « société de discrimination positive ». Expliquant son point de vue, l’expert comptable a fait savoir qu’une société de discrimination positive est une société implantée dans les régions qui œuvre dans la logique de la discrimination positive, où l’Etat a une participation majoritaire avec 51% en fonds d’amorçage. Ces sociétés doivent être gérées selon les principes de la bonne gouvernance et cotées en bourse.
Ces sociétés contribueront au développement des régions, en achetant leurs produits des fournisseurs locaux et en recrutant la main d’œuvre locale. « Cependant, tout demeure lié à la productivité et aux objectifs réalisés par ces sociétés », remarque-t-il.
La responsabilité sociétale de l’entreprise est aussi un moyen de développement de la région.
La solution ne peut émaner que de la région
C’est ce que Nabil Abdellatif pense, tout en rejetant « les promesses non fondées des politiciens ». « La solution ne peut être que consensuelle, répondant aux besoins du gouvernorat et surtout dans une logique économique et de souveraineté », précise-t-il
D’ailleurs, M. Abdellatif ne considère pas que le problème du bassin minier soit un problème régional. Pour lui, il s’agit d’un problème de filière et « il est temps que l’Etat adopte une stratégie de travail par filière », recommande-t-il.
Ainsi, il a appelé au développement des filières, notamment celles du plâtre, lait, dattes, agrumes, phosphate et autres. Chaque secteur est lié à d’autres facteurs, à l’instar du transport, du conditionnement, de l’export, etc. Raison pour laquelle, il a plaidé pour une approche globale.
Les incitations fiscales ne sont pas une solution miracle
Les incitations fiscales ressemblent à de la poudre aux yeux. En effet, elles ne figurent pas aux premiers rangs des intentions d’investissement, par rapport à d’autres.
Notre invité a rappelé que le climat d’affaires, les facteurs de production, la disponibilité et la qualité des ressources humaines sont les premiers critères retenus en matière d’intention d’investissement.
« En tout cas, afin de lutter contre le chômage, il faut encourager le mécanisme de création de TPE et PME » dit-t-il et de proposer que le gouverneur et le délégué aient des capacités en ingénierie des affaires afin de créer, modérer, faciliter les intentions d’investissement et pouvoir suivre le taux de réalisation et d’avancement des projets. « Si le code d’investissement tarde encore, on espère que l’Etat réalise ces propositions », lance-t-il.