Il y a quelques mois, le sénat américain a adopté un projet de loi permettant aux parents des victimes des attentats du 11 septembre 2001 de poursuivre en justice le royaume saoudien « pour soutien au terrorisme ». La Chambre des représentants a attendu le 15e anniversaire de ces attentats pour voter à son tour le texte en question qui deviendra loi dès sa signature par le président américain.
Seulement voilà qu’Obama menace d’opposer son véto au motif que « cette loi met en péril les intérêts des Etats-Unis dans le monde. » En fait, la Maison-Blanche a bien raison de se faire des soucis, car effectivement l’initiative du Congrès pourrait donner des idées à d’autres Etats pour confectionner des lois similaires dans le but de traîner en justice des soldats et des responsables militaires et civils américains.
Après tout, si personne n’ignore que le royaume wahhabite a soutenu financièrement et militairement diverses organisations terroristes sunnites, depuis le 11 septembre 2001 jusqu’à ce jour, les Etats-Unis ont tué en toute impunité plus de quatre millions d’Arabes et de Musulmans et ruiné la vie de dizaines de millions d’autres. Ils ont renversé des régimes et détruit des pays. Et on ne compte plus les crimes de guerre commis par l’armée américaine au nom de la « guerre globale contre le terrorisme ».
Passons sur ces crimes de proportions bibliques commis par la puissance américaine et limitons-nous au sujet principal de la loi : le soutien au terrorisme. Si l’on va à la source du problème, c’est-à-dire à la pépinière du terrorisme qu’est devenu l’Afghanistan à la suite de l’invasion soviétique du 28 décembre 1979, on constatera que le développement fulgurant de ce phénomène est dû à trois acteurs principaux : une tête pensante qui se trouve à Washington, un banquier qui se trouve à Riyad et un logisticien qui se trouve à Islamabad.
Les sénateurs et les représentants au Congrès ne peuvent ignorer cette réalité. Ils savent pertinemment que leur pays est au moins aussi responsable que l’Arabie saoudite dans la propagation du terrorisme dans le monde. Ils n’ignorent pas que les 19 kamikazes du 11 septembre sont tous membres d’Al Qaida et que celle-ci est une création américano-saoudo-pakistanaise. Mais, pour des raisons inavouables, ils ont décidé de faire porter le chapeau aux Saoudiens seuls.
On sait depuis la naissance des Etats que ceux-ci n’ont pas d’amis, mais seulement des intérêts. Cela s’applique aussi et surtout à l’Arabie saoudite et aux Etats-Unis dont les responsables, depuis plus de 70 ans, n’ont raté aucune occasion pour célébrer une « amitié » à laquelle ni la première ni les seconds n’ont jamais cru. Comment peuvent-ils être amis alors qu’ils n’ont aucun point commun? Alors qu’ils ne partagent aucune affinité? Alors que, sur tous les plans, la théocratie saoudienne est aux antipodes de la démocratie américaine? Et pourtant ces deux entités contradictoires ont bâti une relation solide sur la base du seul intérêt. Mercantile pour les Américains, sécuritaire pour les Saoudiens.
Dans cette relation qui dure depuis sept décennies, l’Arabie saoudite a servi de vache à lait aux Américains. Au mépris des intérêts des peuples arabes et de leur propre peuple, les dirigeants saoudiens se sont comportés en fonction du principe : « Les désirs de Washington sont des ordres ». Ils ont vaillamment combattu l’Union soviétique, l’amie des Arabes, côte à côte avec Washington; ils ont manipulé le marché pétrolier en augmentant ou en diminuant la production pour maintenir le prix du baril à niveau qui ne fâcherait pas les Américains; ils ont contribué généreusement au financement des guerres américaines de 1991 et de 2003 contre les cousins irakiens; sans parler de leur rôle dans l’effondrement actuel du prix du baril et qui s’est révélé dévastateur pas seulement pour les Russes et les Iraniens, mais aussi pour les Saoudiens eux-mêmes.
Sept décennies de bons et loyaux services n’ont pas préservé l’Arabie saoudite des risques liés à la révision des priorités stratégiques et à la mise à jour de la liste d’amis chaque fois que la puissance américaine trouve cela nécessaire. Et de fait, il y a une nouvelle donne qui fait que Washington ne peut pas ne pas réviser la nature de sa relation avec Riyad. Grâce à la production du pétrole de schiste, les Etats-Unis sont redevenus exportateurs de pétrole et, de dépendants, ils sont devenus concurrents de l’Arabie saoudite. Sans parler du développement lent mais continu des énergies renouvelables. Ces nouvelles données fondamentales font que la valeur stratégique de l’Arabie saoudite est en baisse constante et que les Saoudiens ne sont plus en tête de liste des amis de la puissance américaine.
La nouvelle loi qui tient l’Arabie saoudite pour responsable de soutien au terrorisme et invite les parents des victimes du 11 septembre à saisir la justice, s’inscrit précisément dans le cadre de la réévaluation en cours à Washington des liens américano-saoudiens.
Plus la valeur stratégique de l’Arabie saoudite baisse à Washington, plus l’inquiétude monte à Riyad. Et cette inquiétude est d’autant plus grande que les Saoudiens ont fait des investissements vertigineux aux Etats-Unis qui s’élèvent à 750 milliards de dollars. De là à dire que les initiateurs de la loi anti-saoudienne lorgnent vers cette somme faramineuse, il n’y a qu’un pas que beaucoup de commentateurs ont franchi. Les précédents de l’affaire Lockerbie utilisée par l’Occident pour soutirer des milliards de dollars à Kadhafi, et de l’argent iranien gelé pendant des années dans les banques américaines et britanniques, ne sont pas très rassurants pour le royaume wahhabite. Surtout que les Saoudiens sont les premiers à savoir que la cupidité et la voracité sont les deux principales caractéristiques des riches…