Cinq ans et demi après la révolution du 14 janvier, nous voilà à notre 6ème rentrée scolaire, avec la même nostalgie, les mêmes tabliers roses et bleus, la même odeur des fournitures neuves, les mêmes émotions de parents aussi soucieux que comblés et les mêmes retrouvailles bruyantes d’élèves tantôt joyeux, tantôt moins heureux.
Cinq ans après, et comme à chaque rentrée depuis le soulèvement, revoilà aussi les mêmes soucis qui hantent les parents, les enseignants et les citoyens conscients du rôle fondamental et fondateur de l’éducation.
Sur ce même site de l’Economiste Maghrébin, nous avons abordé ce même sujet, et nous nous sommes posé les mêmes questions trois ans en arrière, à la rentrée de 2013 : quelques mois après, et suite aux résultats des élections de l’automne 2014, le ministère de l’Education, avec à sa tête M. Néji Jalloul , prend le pari, en collaboration avec des organismes et des citoyens actifs de la société civile, de mettre en place une réforme structurelle du système éducatif tunisien.
Avec cette nouvelle rentrée qui revient au galop, plusieurs citoyens patriotes et solidaires continuent toujours de croire en un enseignement meilleur pour tous les Tunisiens, et sont fiers et heureux d’avoir fait des dons à des associations œuvrant pour l’éducation. Ces dons serviront essentiellement à des achats de fournitures, ou à financer des travaux de réaménagement bien ciblés, d’autant plus que le ministère de l’Education a œuvré à bien cerner le tissu associatif le concernant afin de mettre en place une collaboration fructueuse avec lui.
Tout cela est bien beau, sauf qu’il y a lieu de reposer certaines questions demeurées sans réponse depuis trois ans, voire depuis vingt ans : que ferait un enfant de ses livres, de son tablier et d’un cartable neuf tout rempli de belles fournitures, s’il n’est pas encadré par un enseignant formé, compétent et motivé ? Comment parviendrait-il à aimer son école et ses cours, s’il doit faire plus de 3 km à pied quotidiennement, tantôt en pleine canicule, tantôt sous la pluie, pour arriver à sa classe et devant cet enseignant ? Comment apprécierait-il son école, son internat et sa classe, son deuxième lieu de vie, s’il n’y trouve pas les commodités juste nécessaires et la joie d’une vie digne d’un enfant ou un jeune du 21ème siècle ? Les réponses à toutes ces questions nous aideraient-elles à comprendre les raisons qui sont derrière les plus de 100 000 cas annuels d’abandon scolaire et les 3000 cas de jeunes radicalisés et partis au Djihad ?
Alors, à l’aube d’une nouvelle année scolaire, n’est-ce pas le moment ou jamais de rappeler à Monsieur Néji jalloul que les trois slogans« Emploi, liberté et dignité » ne sauraient devenir réalité uniquement avec de belles paroles ou les articles de la Constitution, et encore moins par un nouveau calendrier scolaire hors normes mondiales, mais plutôt par des changements profonds, touchant la structure et les méthodes de notre système éducatif. Ce système, ayant fait ses preuves depuis l’indépendance, nécessite une remise à niveau, face à une mondialisation galopante qui impose de nouvelles règles économiques et culturelles.
Cependant, à part la vague de l’arabisation et la mise en place de l’école de base avec toutes les conséquences négatives sur les niveaux linguistiques et les compétences, le système éducatif tunisien n’a vraiment pas connu une profonde réforme capable de répondre aux nouvelles données environnementales mondiales. Au contraire, notre système éducatif a fini par produire, depuis l’ère de la mondialisation et au bout de deux à trois générations, un nombre impressionnant de chômeurs et de jeunes prêts à vendre leur âme à l’extrémisme religieux.
Le système éducatif tunisien, et par souci d’adéquation à la mondialisation, se dit bel et bien basé sur l’approche par compétences depuis la mise en place de l’école de base, sauf que la réalité a démontré que ce même système a produit malgré tout des chômeurs aux compétences inadéquates aux besoins du marché de l’emploi. Pourquoi ? L’enseignement supérieur peut bien être au niveau de celui des pays les plus développés, mais il ne pourra jamais combler les lacunes traînées depuis l’enseignement primaire et secondaire. Alors que faire ? Sur quoi devrait-on agir ? A quand cette réforme de l’éducation tant attendue que débattue un peu partout ? Espérons que ce ne sera pas une énième manoeuvre politique, de la poudre aux yeux pour séduire les prochains électeurs !
En analysant de plus près les systèmes éducatifs les plus performants au monde, tels que ceux de la Finlande, du Canada, de la Chine, du Japon n’est-il pas aussi remarquable qu’étonnant de constater que dans ces pays, les meilleurs élèves au baccalauréat sont orientés vers les métiers de l’enseignement et non pas vers ceux de la médecine ou de l’ingénierie ? Que le nombre d’heures d’enseignement dans ces pays est relativement réduit ? Que l’âge de la scolarisation est plus retardé ? Qu’il existe des cours de yoga obligatoires dans les écoles primaires ? Qu’il y a plus de jardins, de laboratoires de cuisine, de couture, d’électronique, de salles de musique, de théâtre et d’éveil scientifique, que de livres et de cahiers ?
Alors, à quand l’allègement des cours au primaire qui redonnerait à l’enfant l’envie d’aller à l’école ? A quand la prise en charge officielle et légale des élèves par leur établissement tout au long de la journée et même en dehors des heures de cours ? A quand la suprématie de la qualité par rapport à la quantité de cours, de supports et de contenus ? A quand les nouvelles méthodes d’enseignement basées sur le développement personnel du jeune et de l’enfant ? A quand la généralisation des nouvelles pédagogies participatives et interactives de l’enseignement ? A quand la formation des enseignants ? A quand les nouveaux cours de citoyenneté, d’altruisme, de civisme et de patriotisme ? A quand la production de nouveaux supports légers et attrayants ? A quand la revalorisation des matières didactiques, linguistiques, culturelles et sportives ? A quand le retour obligatoire aux clubs et des compétitions culturelles et scientifiques inter établissements ?? A quand toute cette revue et ce rafraîchissement de l’enseignement dans sa globalité pour que tout enfant et jeune Tunisien se sente épanoui ?
Eh oui… jusqu’à quand continuerons-nous à être plusieurs citoyens aussi rêveurs qu’optimistes à cet égard ? Personnellement, je garde espoir en un bel avenir grâce à un enseignement porteur et prometteur de qualité humaine. Je continuerai à rêver d’un nouveau système éducatif aussi allégé qu’efficace qui produirait de futurs jeunes aussi compétents qu’épanouis.
Nous continuerons de rêver, patienter et persévérer afin que dans cinq ans notre pyramide de l’enseignement, de la formation et de l’emploi commencera à rejoindre le même niveau que les pays développés. Cela ne sera pas atteint par un nombre accru de diplômés du supérieur, mais plutôt par un progrès rapide et ciblé des centres de formation professionnelle !
Je demeure malgré tout confiante en la bonne conscience des enseignants du secondaire dans l’information, la motivation et la bonne orientation de leurs élèves et de leurs parents dans ce sens !! Un jour viendra – je veux bien le croire- où chaque élève tunisien, grâce à un meilleur enseignement, arrivera à s’estimer à sa vraie valeur humaine et personnelle, afin qu’il puisse être aussi épanoui qu’efficace dans son futur domaine professionnel.
Je continue à croire que les Tunisiens, citoyens de la Méditerranée, sont dotés d’une intelligence émotionnelle remarquable, qui guidera chacun d’eux vers sa bonne et adéquate destination, grâce à un meilleur enseignement… « You may say I’m a dreamer, but I’m not the only one !! »