Les Tunisiens préfèrent regarder vers l’instant plutôt que vers l’horizon, dans une sorte de dérobade, un repli sur la sphère domestique. Ils sont empêtrés dans leurs difficultés quotidiennes.
Ramadan « le prodigue » est passé par là, deux Aïd dépensiers entre gâteaux et moutons, un pèlerinage fournisseur de devises à ceux qui administrent les lieux saints, les vacances estivales, la rentrée scolaire… Ils ont en assez des mauvaises nouvelles, des gouvernements qui se succèdent et se ressemblent, des faits divers consternants relayés sadiquement par certains médias, du terrorisme qui trouble leur sécurité et leur quiétude, d’une classe politique immature et partiellement corrompue… Mais, méfions-nous de l’eau qui dort, car le réveil ferait mal !
Pour le nouveau gouvernement, le compte à rebours a commencé le 29 août 2016 avec la prise officielle de ses fonctions. Le chef du gouvernement a certes ordonné une baisse de 30% des primes et des privilèges des membres de «son» équipe. Une démarche symbolique louable. Il a dû aussi gérer une opération terroriste et la tragédie routière dès son investiture. Le baptême du feu !
Cependant, à part la reprise de la production et du transport des phosphates qui mérite d’être confirmée et pérennisée, il n’y a pas de mesures prises encore à la hauteur des enjeux. Une prudence qui se confondrait avec de l’indécision ? Descartes donne de l’indécision la définition suivante : « Une espèce de crainte qui, retenant l’âme comme en balance entre plusieurs actions qu’elle peut faire, est cause qu’elle n’en exécute aucune, et ainsi qu’elle a du temps pour choisir avant de se déterminer » (Passions de l’âme).
Pourtant, la course contre la montre pour résoudre certains dossiers brûlants est désormais engagée. Cette procrastination qui montre de nouveau le bout de son nez n’est pas de bon augure. Elle est souvent synonyme de… ne rien faire. En remettant à plus tard des décisions susceptibles de gagner en confiance et en crédibilité c’est tout simplement procrastiner. Plutôt que de mettre les bouchées doubles, on commence à se demander si la première bouchée n’est pas trop grosse à prendre pour un jeune chef du gouvernement qui n’a toujours pas justifié le préjugé favorable à l’annonce de sa désignation.
Il y aurait des décisions audacieuses à prendre illico-presto avant que la marge de manœuvre, qui est déjà bien étroite, ne se rétrécisse davantage et avant qu’une levée de boucliers des milieux qui se sentiraient visés ne s’opère pour bloquer toute initiative. René Char dirait : «Si ce n’est pas le commandant qui commande sur le navire, ce sont les rats». La paralysie analytique est l’ennemi premier de tout espoir de sortie de crise. Il faut agir d’abord promptement, spectaculairement et avec confiance contre la criminalité, la corruption et les baronnies de la contrebande. Bref contre le chaos ambiant.
Le temps nous est vraiment compté. L’œuvre d’assainissement de la situation doit donc s’engager d’urgence pour couper l’herbe sous les pattes crochues des aventuriers de tous bords et atténuer l’effet des fiascos possibles. Il n’est pas recommandé de poursuivre sur cette démarche trop lente pour mettre le pays sur la bonne trajectoire. De toute façon, pour nous Tunisiens, il est trop tard pour être pessimiste !