Les analystes évoquent souvent la réussite de la transition politique et les déboires de la transition économique. Ce diagnostic hâtif et réducteur doit être cependant nuancé. Bien entendu, la production économique a été bloquée, dans l’ère post-printemps tunisien. Mais la démocratisation a été bien mise à l’épreuve, par l’esprit libertaire, les sit-in et les revendications, tous azimuts.
Autre donne non négligeable, « la guerre des légitimités » a marqué la vie des grands partis, occultant les débats sur les problèmes économiques, oubliant les attentes des citoyens, objet du chômage, de la précarité, de l’affaiblissement du pouvoir d’achat, de la dévaluation bien effective du dinar. Vu l’interaction des donnes politiques et socioéconomiques, il faudrait simultanément instaurer l’état d’urgence politique et se mobiliser pour la relance économique.
Face aux mouvements de protestations qui paralysent la vie économique, le nouveau gouvernement, à l’instar de ceux qui l’ont précédé, a opté pour la temporisation; certains diraient, injustement, l’indifférence. Pendant les cinq années, de l’ère post-révolution, près de deux mille entreprises ont bloqué leurs activités, dans les régions intérieures et les zones industrielles.
En moyenne, trois cents entreprises ferment leurs portes, chaque année, condamnant leurs employés au chômage. Des entreprises étrangères ont d’ailleurs émigré vers d’autres cieux. Ce qui explique le développement du chômage qui a atteint 15,6 % de la population active, au cours du deuxième trimestre 2016. Le taux de chômage des diplômés atteint 30 %. 18 % des jeunes, quasiment marginalisés, ne sont pas scolarisés et ne sont pas en formation. Ils sont disponibles pour participer aux sit-in, organisés par les contestataires.
Relativisons la responsabilité du nouveau gouvernement. Il a dû, dès son arrivée au pouvoir, faire face à des situations explosives : bassin minier de Gafsa, Groupe chimique, Petrofac, protestations de Fernana, régions frontalières etc. Le blocage, durant plus de huit mois de l’activité de la société pétrolière Petrofac, à Kerkennah, a suscité l’inquiétude générale, vu la décision de sa direction de fermer l’entreprise.
Le mal est fait, il fallait le surmonter. Le départ de Petrofac n’était pas de nature à favoriser l’appel aux investisseurs étrangers, invités à participer fin novembre à une conférence internationale sur l’investissement en présence de plus d’un millier d’entreprises étrangères. Des négociations laborieuses et des concessions sérieuses ont permis la sauvegarde de l’entreprise. A l’instar de l’usine britannique, les entreprises étrangères réclament « une garantie de continuité ». Pourrait-on parler de victoire salutaire ou d’un précédent fâcheux ?
La situation est bien complexe. Il faudrait certes restaurer l’autorité de l’Etat, sans ignorer les attentes sociales légitimes. Ne perdons pas de vue la revendication de la justice sociale, de l’emploi, de l’amélioration des conditions de vie, présentée par les acteurs de la « révolution ». Faire la politique autrement exige l’abandon d’expédients.
Le néo-libéralisme en vigueur suppose le retrait de l’Etat. L’appel à l’investissement devrait instituer des structures économiques productrices. Le rôle de l’Etat reste déterminant. Dans la situation présente, en effet, l’économie mondiale est en stagnation.
D’autre part, la peur de l’instabilité n’encourage pas l’appel d’air de l’étranger, alors que la crise privilégie l’épargne à l’investissement des entreprises tunisiennes.
Ne faudrait-il pas, dans ce cas, formuler un nouveau modèle de développement, susceptible de répondre aux défis de la transition économiques du « Printemps arabe » ?