Plus de cinq ans après la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye risque de s’enfoncer davantage dans le chaos. Avec le gouvernement d’Union nationale libyen, la donne a-t-elle changé? Quel regard porte la Tunisie sur la Libye ? Ce sont en partie les thématiques abordées avec Chokri Bahria, directeur du département géopolitique du Think-Tank Joussour.
leconomistemaghrebin.com : Le regard des Occidentaux sur le général Hafter est en train de changer, quel constat faites-vous?
Chokri Bahria : Il est aujourd’hui évident que la conquête du croissant pétrolier en Libye par le général Hafter est une nouvelle donne. Il n’en demeure pas moins que le désordre ambiant ne peut, à mon sens, avoir que deux issues possibles. La première passe par une solution politique rapide. Cela suppose l’adhésion des différentes parties à la vision d’un Etat inclusif. Dans le cas contraire, les forces en présence seraient tentées de recourir à la force. Or cette dernière alternative risque de mener à encore plus de chaos et serait désastreuse autant pour la Libye que pour la Tunisie.
Quelles sont les priorités aujourd’hui?
Il y a deux enjeux majeurs qui constituent deux leviers politiques utilisés par les différentes parties pour asseoir leur légitimité locale et internationale: combattre Daech et reprendre la production et l’exportation pétrolifères, principale source de revenu de l’Etat. La communauté internationale et les pays voisins ont pour mission de faire converger les différentes forces en présence et de mettre ces différents leviers au service d’un Etat central unifié et inclusif.
Comment voyez-vous la situation actuelle en Libye?
Les premières réactions de Hafter sont assez rassurantes, ayant accepté que les revenus du pétrole soient reversés dans les caisses de la Banque centrale libyenne, sous autorité du gouvernement d’union nationale. Il s’agirait d’un pas en avant qui va dans le sens de l’apaisement et alimente la dynamique de la solution politique.
Si le général Hafter décidait de contrôler les revenus du pétrole qu’il détient et de l’exporter lui-même, il pourrait être considéré comme illégitime par le gouvernement de Sarraj, soutenu par la communauté internationale. Et cela alimenterait encore plus la crise. Cette question influencera certainement la situation libyenne dans les prochains mois.
Quelles sont les répercussions sur les pays voisins et particulièrement sur la Tunisie?
Au niveau de la lutte contre Daesh, la libération de Syrte pose la problématique du retour des terroristes de cette zone en Tunisie et dans les autres pays voisins. A ce titre, il est impératif, pour la Tunisie comme pour les autres pays, de protéger les frontières et de définir une politique de traitement adéquate.
Comment évaluez-vous l’action politique de la Tunisie?
Tout le monde est conscient du danger que représente la situation libyenne pour la Tunisie. Nos responsables sont également conscients que l’intérêt stratégique de la Tunisie réside dans l’établissement d’un État libyen unifié. Nous devons donc axer nos efforts sur la solution politique, conformément aux fondamentaux de notre politique étrangère. Nous avons toujours soutenu qu’il est vital de réussir les deux transitions, la nôtre et celle de la Libye. Il faudra que notre classe politique en soit consciente et qu’elle multiplie les efforts dans ce sens.
Etes-vous optimiste ?
Si l’on dresse un bilan des quatre dernières années, l’on se rend compte du chemin parcouru. Il faut en effet se rappeler qu’à la veille de l’arrivée du gouvernement d’union nationale libyen, avec à sa tête Fayez Sarraj, le pouvoir était éparpillé entre, d’un côté, les milices tribales, et de l’autre deux autorités et deux parlements.
Il faut donc bien l’avouer, des avancées ont été réalisées au niveau du processus politique, notamment avec la mise en place d’un gouvernement d’union nationale libyen; mais il va falloir redoubler d’efforts pour parvenir à la stabilité dans la région.
Commencons à balayer devant notre porte n’essayons pas de faire plus de ce que nous sommes capables, le sort de la Libye ne dépend pas de nous, seules les conséquences de ce qui se passe peuvent nous déstabiliser. Alors faisons que nos services de renseignements soient constamment à l’écoute pour pouvoir anticiper toute action destabilisatrice, comme la tentative d’assaut de Ben Gardane d’il y a quelques mois.