Une récente étude économique, réalisée par des économistes de l’assureur-crédit la Coface, a montré que la croissance économique et le risque politique sont interconnectés.
Les économistes de la Coface ont observé qu’a la suite du « Printemps arabe » qui avait permis de constater que les tensions latentes dans les sociétés émergentes pouvaient s’exprimer et se traduire par des révolutions et changements politiques, la Coface avait fait évoluer sa manière de mesurer le risque politique en tenant compte de cette nouvelle donne.
Cette série de soulèvements populaires dans les pays du Maghreb, du Moyen-Orient et au-delà était apparue comme le résultat de dynamiques socioculturelles qui témoignent d’une aspiration des populations à plus de justice, ainsi qu’à un plus grand respect de l’individu. C’est pourquoi, pour mesurer le risque politique dans les pays émergents, la Coface a alors décidé d’utiliser des indicateurs relevant de deux logiques.
Le modèle entend repérer dans les pays émergents l’aspiration et la capacité des populations à se soulever contre un système vecteur de frustrations politiques et économiques. Ainsi, la Coface a pris en compte des indicateurs de pressions aux changements :
- Le PIB/habitant : plus le niveau de développement est élevé plus l’accès aux biens essentiels (nourriture, logement, santé) est garanti à une part conséquente de la population; de même plus les attentes de la population en termes de satisfaction des besoins supplémentaires sont grandes;
- Le chômage : un taux de chômage important exclut des personnes de l’insertion professionnelle et de l’intégration sociale, contribuant ainsi à l’exacerbation des frustrations;
- L’inflation : un niveau d’inflation élevé peut rendre l’accès aux biens difficile, notamment les denrées alimentaires;
- Le coefficient de GINI : une répartition inégale des revenus (mesurée par l’indice GINI) rend la satisfaction de certains besoins sociaux difficile, comme l’accès au logement.
Ces indicateurs traditionnels de nature économique et sociale sont des variables clés. Toutefois, ils n’épuisent pas entièrement la logique de ces exaspérations. La frustration n’est pas seulement économique, elle peut être de nature politique :
- « Expression et responsabilité » : comme le souligne Armatya Sen, la liberté constitue l’objectif du processus de développement. La liberté d’expression, la liberté d’association et l’existence de média libres sont donc des enjeux majeurs. Aussi leur absence constitue un élément majeur de mécontentement;
- La corruption fait naître un sentiment d’injustice et de frustration propice à la contestation. Ces variables traduisent des frustrations économiques, sociales et politiques dans les pays.
Dans un second temps, la Coface a mesuré la capacité des pays à transformer ces pressions en changement. Les instruments du changement sont mesurés par le taux d’éducation dans l’enseignement supérieur, le taux d’alphabétisation des adultes, l’accès à internet, la proportion des jeunes, le taux de fécondité, le taux d’urbanisation et le taux de participation des femmes.
Les économistes de la Coface ont observé que le risque politique combine donc les deux modules (pressions aux changements et instruments du changement) composés de six agrégats chacun.
Dans le cas de pays développés, la prise en compte des instruments ne paraît pas pertinente. Les économistes de la Coface ont estimé que si les aspirations aux changements étaient présentes, les populations ne rencontreraient pas de barrières ni pour exprimer leurs exaspérations, ni pour les transformer en changement politique, à la différence des pays émergents où les moyens de provoquer le changement peuvent être bloqués par plusieurs facteurs.
Du côté des « pressions au changement », les économistes de la Coface ont conservé le taux de chômage et la corruption, sources de mécontentement social. Ils y ont ajouté le taux de croissance du PIB ainsi que la variation annuelle de la balance budgétaire primaire structurelle (en % du PIB), qui mesure l’effort de rigueur budgétaire qui peut être impopulaire, d’autant plus que la pression fiscale accrue se concentre souvent dans les faits sur la classe moyenne, celle qui est la plus nombreuse et qui constitue la part la plus importante du corps électoral.
D’autres variables permettent de rendre compte des pressions existantes dans certains pays européens. Ces indices sont mesurés par des enquêtes, comme celle d’opinion publique sur l’immigration ou encore l’euroscepticisme.
Enfin, le morcellement des scènes politiques est un signe d’instabilité politique. La Coface a donc tenu compte de la variation du nombre de sièges de la majorité au parlement après chaque élection. Une faible majorité peut être le signe d’un nombre important de partis représentés aux élections. Plus il y a de partis au parlement, plus il est difficile d’avoir une majorité et donc de réformer. Pour mesurer le risque politique, dans le cas européen, la, Coface a combiné huit variables. La croissance du PIB, le taux de chômage, la corruption et l’euroscepticisme ont les poids relatifs les plus élevés à 15%. L’indice de risque politique est exprimé sur une échelle de 0 à 100.
Croissance économique et risque politique sont interconnectés
Pour la Coface, une dégradation (amélioration) des conditions économiques est susceptible d’engendrer une augmentation (réduction) du risque politique : la montée du chômage, de l’inflation ou encore des inégalités de revenu peuvent provoquer un mécontentement social.
A son tour, un risque politique accru peut affecter l’environnement économique. L’effet de ces incertitudes politiques sur la croissance passe, toujours selon la Coface, principalement par deux canaux de transmission qui sont susceptibles de se soutenir mutuellement :
1) Baisse des marchés d’actions et augmentation des taux obligataires qui pénalisent les conditions de financement des agents économiques (Etat, entreprises et ménages) et donc leurs perspectives d’investissement et de dépenses;
2) Moindre degré de confiance des entreprises et des ménages qui les conduit à reporter ou annuler des décisions d’investissement ou de dépenses. Si elles se prolongent dans le temps, un troisième canal peut aussi être à l’œuvre : celui des politiques budgétaires. En cas de vacance prolongée du gouvernement, le gel des dépenses publiques induit un effet négatif sur l’activité.
Notons que différentes autres études ont confirmé ces interconnexions. En 2011, Aisen et Vaiga concluent qu’un degré d’incertitude politique plus élevé (mesuré par le nombre de changements de gouvernement) est associé avec une croissance du PIB par habitant plus faible, après avoir étudié la relation statistique entre ces deux variables dans 169 pays entre 1960 et 2004. Ces résultats confirment ceux d’Alesina (1996) (10) selon lesquels la croissance du PIB de 113 pays entre 1950 et 1982 était significativement moins élevée, lorsque la probabilité de chute d’un gouvernement était forte.
Pour y voir plus clair, les économistes de la Coface ont donc cherché à quantifier les conséquences de la montée du risque politique. Afin de mesurer l’incertitude politique dans un pays, ils ont donc utilisé l’indice EPU (Economic Policy Uncertainty), développé par Baker, Bloom et Davis et construit à partir d’un recensement de mots-clés, définissant l’incertitude, présents dans la presse dans chaque pays étudié.
L’indice EPU relate trois champs différents : l’économie, la politique et l’incertitude, qui eux-mêmes sont subdivisés en différentes catégories telles que les dépenses publiques, la régulation financière ou la sécurité intérieure.
A l’exception de la Grande-Bretagne où le modèle statistique de la Coface a montré ses limites, la méthode de mesure de risque utilisée par les économistes de la Coface et appliquée sur certains pays européens a confirmé l’impact de l’incertitude politique sur l’activité économique.