Au moment où le Maroc accueille la COP 22, il est utile de mettre en perspective les efforts de quelques grandes entreprises marocaines en matière d’efficience et de diversification énergétiques et d’en tirer des enseignements pour un plus grand engagement des entreprises et des citoyens en faveur du développement durable.
Le lecteur intéressé par les questions énergétiques et les négociations relatives à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) sait que le gouvernement marocain a adopté une stratégie ambitieuse dans ce domaine et aspire à produire 42% de sa consommation d’électricité en 2020 à partir de sources renouvelables. La réalisation de cet objectif semble en bonne voie, probablement sur un calendrier un peu moins serré, et passe par des investissements massifs dans le solaire et l’éolien financés par des bailleurs de fonds nationaux et internationaux, privés et publics.
Alors qu’il peut être surinformé sur la stratégie nationale, le lecteur en sait probablement moins sur les efforts réalisés par les entreprises marocaines en écho et en appui à cette stratégie. Il est important de remédier à ce déficit de perception. Puisant dans les publications de quelques grandes entreprises, dans de rares articles de presse locale consacrés au sujet et dans des informations de première main, nous montrerons que les équipes dirigeantes des principales entreprises marocaines sont conscientes de la gravité de la question énergétique et ont engagé des actions significatives dans ce domaine. Nous conclurons par une invitation à ces mêmes dirigeants de mieux faire connaître leurs réalisations en matière énergétique et à étendre leur activisme aux autres axes du développement durable.
Le lecteur nous pardonnera de rappeler, en quelques mots, les enjeux énergétiques pour le pays. Le Maroc dispose de très peu de réserves fossiles et importe 95% de sa consommation d’énergie, ce qui pèse très lourd sur la balance des paiements. Du fait d’une faible industrialisation, le Maroc consomme peu d’énergie et émet un très faible niveau de CO2 par habitant. Cependant, la croissance économique, entre 3 et 5%, induit une croissance parallèle des besoins en énergie et donc d’émissions de CO2.
Le Maroc ne pourra pas supporter les coûts additionnels et doit adopter une stratégie volontariste pour réduire sa dépendance énergétique et la pression sur ses réserves en devises. La stratégie nationale, lancée par un discours royal en 2009, est bâtie sur deux piliers : amélioration de l’efficacité énergétique, pour minimiser la consommation, et diversification du mix énergétique en développant la production locale à partir de sources renouvelables. Ces deux axes se retrouvent, naturellement, dans les actions des grandes entreprises marocaines.
L’Office Chérifien des Phosphates (OCP), plus grande entreprise du pays, est à la pointe du mouvement. Sa double nature d’opérateur dans une industrie extractive, à très forte empreinte environnementale et d’établissement public soumis à un impératif d’exemplarité sont probablement à l’origine d’une politique multidimensionnelle de développement durable.
La personnalité de son président- directeur général n’y est peut-être pas neutre non plus. L’OCP publie un rapport détaillé sur ses actions en faveur du développement durable.
Des efforts sont faits sur le plan de l’efficacité énergétique comme, par exemple, la conversion de chaleur générée par des unités de transformation en électricité. D’autres actions portent sur la promotion d’énergies renouvelables. Au sud du pays, par exemple, un partenariat avec l’opérateur spécialisé Nareva a permis de développer un parc éolien (Foum El Oued) dédié à l’approvisionnement de l’unité locale de l’OCP.
Lafarge-Holcim Maroc dont les cimenteries sont très gourmandes en électricité est également très engagé dans l’optimisation de sa consommation et la réduction des émissions de CO2, à l’instar de la maison mère dont les pratiques énergétiques sont reconnues au niveau mondial. Au nord du Maroc, Lafarge a construit, en propre, un parc éolien qui, après extension, assure aujourd’hui 60% de la consommation de la cimenterie de Tétouan. Grâce à des partenariats avec le spécialiste Nareva dans d’autres régions du pays, Lafarge Holcim est en mesure d’affirmer que les énergies propres constituent 85% de sa consommation d’électricité.
Renault Maroc , qui assemble plus de 200.000 voitures sur son site de Tanger, est en partenariat avec Veolia Environnement. Cette dernière a construit sur le site Renault une unité de production d’eau chaude par combustion de grignons d’olives. L’unité génère 18 MW d’électricité, couvre 100% des besoins en eau chaude de l’usine Renault, valorise 25000 tonnes de biomasse et évite l’émission de 25000 tonnes de CO2 (chiffres de 2014).
A des échelles plus modestes, mais peut-être plus créatives, deux entreprises méritent mention. Le groupe sucrier Cosumar a construit une chaudière à bagasse qui a permis de résoudre un problème environnemental et de réduire la facture énergétique du site concerné. Le stockage en plein air de la bagasse, résidu de la canne à sucre, était une source de nuisance et de conflits avec la population locale. Le voisinage de l’unité de canne à sucre avec une unité de transformation de betterave ayant des besoins importants d’énergie a donné aux dirigeants de Cosumar l’idée de transformer la bagasse en électricité. Au total, l’investissement a permis de réduire les émissions de CO2 (30.000 tonnes) et de faire l’économie de l’importation de 7000 tonnes de charbon par an.
Les ingénieurs de Lesieur-Cristal ont aussi fait preuve de créativité en mettant au point un procédé de recyclage de déchets hautement nuisibles générés par l’activité de raffinage d’huile. L’adaptation d’une chaudière de production de vapeur pour y brûler les déchets nocifs a permis de faire d’une pierre deux coups : résoudre un problème environnemental et améliorer encore l’efficacité énergétique de son processus industriel après avoir innové, une première fois, en utilisant le grignon d’olive comme combustible.
Que faut-il retenir de cette revue ? D’abord, la stratégie nationale d’efficience et d’autonomie énergétique est en marche. Les principaux industriels du pays font des efforts réels et sincères de maîtrise de leur consommation d’électricité et de développement d’alternatives aux sources fossiles. Les efforts des entreprises sont soutenus par le développement de spécialistes nationaux comme Nareva ou Masen, l’adaptation de l’opérateur public ONEE et l’engagement local d’entreprises internationales comme Engie ou Veolia. Un écosystème vertueux se met progressivement en place et donne corps à la stratégie énergétique nationale.
Le deuxième enseignement est que le comportement des entreprises marocaines en matière d’énergie montre qu’il est possible de faire du bien en se faisant du bien.En investissant dans l’efficience et la diversification énergétiques, les entreprises marocaines, à l’instar du pays en général, réduisent leurs émissions de CO2 et réduisent leur facture énergétique.
Le troisième enseignement, enfin, est que les efforts des entreprises marocaines en matière d’énergie ne sont pas suffisamment promus et reconnus par les citoyens. Pourtant, les entreprises publient des rapports de développement durable mais la communication reste en deçà des réalisations.
Le Marocain moyen a une image peu favorable des grandes entreprises et les perçoit, souvent, comme des entités peu intéressées par le bien commun. Cette image doit être corrigée par plus de communication de la part des entreprises et plus d’intérêt de la part des journalistes et des observateurs. La mise en valeur d’actions exemplaires est nécessaire pour deux raisons. La première est que les entreprises, moins grandes et moins visibles, ont une conscience modeste, pour ne pas dire faible, des enjeux de développement durable.
Le patron d’une PME/TPE est plus soucieux du montant de sa facture d’électricité que des externalités négatives de sa consommation. Or, et contrairement à une idée reçue, le prix de l’électricité est relativement moins cher au Maroc, en comparaison des pays développés. Les incitations purement économiques à la vertu ne suffisent pas et doivent être soutenues par une éducation des utilisateurs.
La deuxième raison est que les pratiques des entreprises et des citoyens dans d’autres sphères du développement durable (eau, hygiène, pollution chimique, pollution urbaine, déchets, santé, éducation…) restent très en retrait par rapport aux standards mondiaux.
Montrer que l’Etat et les grandes entreprises industrielles sont en train de relever un grand défi dans un domaine vital tel que l’énergie devrait donner aux citoyens et aux entreprises envie d’engager des combats sur d’autres fronts pour assurer à tous les citoyens le droit à une vie meilleure dans un environnement plus sain.