En visite officielle à Paris, après celle d’Alger, Youssef Chahed n’en est plus à son premier baptême de feu.
Face à ses hôtes français de tout premier plan, il était, comme à son habitude, confiant, serein et déterminé. Il avait l’assurance d’un chef de gouvernement porté par les urnes, le plus démocratiquement qui soit. Il s’est rendu dans la capitale française avec l’engagement d’un dirigeant d’une jeune startup démocratique qui promet autant qu’elle promeut. Il a fait ce voyage en dirigeant politique libre de toute ingérence, d’où qu’elle vienne ; moins pour demander assistance que pour porter une offre de coopération et de partenariat renforcés.
L’accueil qui lui a été réservé par les dirigeants français se devait d’être à la hauteur du combat que nous menons au quotidien pour asseoir définitivement la démocratie et redresser notre économie, abîmée par cinq années de tiraillements partisans, de tensions politiques, de désordre et d’agitation sociale. L’ancienne puissance coloniale, au regard d’un passé commun et des liens privilégiés avec la Tunisie, ne saurait et ne pouvait, par indifférence coupable, s’arrêter aux portes de l’Histoire qui se fait de ce côté-ci de la Méditerranée.
La France, celle de François Hollande, comme celle de ses prédécesseurs, est notre principal partenaire et alliée. Elle est même bien plus que cela, pour avoir exercé, pendant près de 75 ans, sa tutelle sur le pays. Désir, voire devoir de réparation ? La question intéresse davantage les historiens et n’a jamais été posée. Obligation morale face au danger d’enlisement de l’économie et de la démocratie naissante en Tunisie ? On peut le penser ainsi.
Le soutien de la France est utile à plus d’un titre. D’abord, comme un appel d’air pour nos finances publiques exsangues ; il agit comme un fonds d’amorçage et provoque un effet de levier chez l’ensemble de nos partenaires de l’Union européenne. La France, ainsi que l’Europe, y gagneront. Chaque point de croissance supplémentaire en Tunisie ouvre de nouvelles opportunités d’investissement, d’échange et de gain pour les entreprises françaises, en quête d’expansion. C’est au final plus de dix mille postes d’emplois nouveaux et de nouvelles perspectives pour les jeunes et plus important encore, moins de candidats potentiels au djihad sans frontières. L’impératif économique pour l’ensemble de la région n’a d’égal que l’enjeu sécuritaire.
Dans la lutte contre le terrorisme transcontinental, la Tunisie est en première ligne, en raison de sa proximité de la ligne de front qui traverse la Libye, devenue le sanctuaire et le nouveau théâtre de redéploiement de Daech, aux visées expansionnistes. Les principales puissances occidentales – inutile de les nommer, elles se reconnaitront d’elles-mêmes – assument une lourde responsabilité dans le déferlement du terrorisme djihadiste en Irak, en Syrie, au Yémen et en Libye, quels que puissent être les mobiles et les motivations qui les ont poussées à intervenir comme elles l’ont fait dans ces pays. Le résultat est que, consciemment ou non, elles les ont mis à feu et à sang ; elles en ont fait un champ de ruines, en les livrant à la barbarie du terrorisme international.
La Tunisie est aujourd’hui dans l’oeil du cyclone, sous la menace de la nébuleuse terroriste, en déroute dans d’autres théâtres de démolition avec les conséquences que l’on redoute. Un seul attentat fortement médiatisé, fût-il moins meurtrier que ceux qui ont ensanglanté et endeuillé la France, la Belgique ou la Turquie, et c’est le tourisme tunisien qui est à l’agonie, entraînant dans sa chute de larges pans de l’activité. L’industrie ne s’en sortira pas mieux et les IDE seront lourdement impactés. L’onde de choc a plus d’effet dévastateur ici qu’ailleurs, au regard de l’insuffisance de nos moyens et de la vulnérabilité du pays, dépourvu de ressources pétrolières.
La Tunisie n’existe que par son ingéniosité et sa force de frappe en matière de création de valeur ajoutée, aujourd’hui largement entamée ; elle n’existera que par sa capacité d’entreprendre, d’innover, de se projeter dans le futur, en s’inscrivant pleinement dans le mouvement de transformation économique et social. Nous devons impérativement nous positionner dans les secteurs à fort contenu technologique, dans les services liés à l’industrie, dans la Nouvelle économie. Le pays vit, avance et se développe par la seule valorisation de son capital travail. Il n’a de chance d’émerger qu’en s’ouvrant de plus en plus sur le monde. Il a besoin de stabilité, de sérénité et de sécurité. Le moindre attentat terroriste mettra à mal ses plans de développement et affectera lourdement l’attractivité du site Tunisie.
L’appui, le soutien, l’aide sous toutes ses formes de la France, avec qui nous partageons une histoire commune, un même désir d’avenir et plus encore la langue, relèvent de l’impérieuse nécessité. Que Youssef Chahed ait réservé sa 2ème sortie pour la France, au risque d’écorcher la susceptibilité du Maroc, ne relève pas du hasard du calendrier. Cela semble vouloir signifier que la coopération tuniso-française privilégiée et renforcée relève d’un choix stratégique. Il y a là comme une ardente obligation que l’on voudrait partagée, pour nous préserver des forces du mal.
Le terrorisme est planétaire, la riposte doit être globale, tout comme le sont les moyens de lutte. Il sera vaincu autant par l’échange de renseignements, les armes que par le redressement de notre économie, c’est-à-dire par notre capacité d’éradiquer la pauvreté, le chômage, le déséquilibre territorial et la fracture sociale. Le mal est aujourd’hui si répandu et si grave, qu’on n’y arrivera jamais sans soutien financier extérieur. Un nouveau plan Marshall ? Pourquoi pas un plan Hollande, à quelques mois des élections présidentielles françaises ? Q ui le ferait ainsi, quelle que fût l’issue de ces élections, entrer dans l’Histoire.