En France, la victoire de François Fillon à la primaire de la « droite et du centre » s’inscrit dans un mouvement historique et idéologique. La France s’interroge sur elle-même, sur son identité, sur la République qu’elle incarne.
Avec le dépérissement des traditionnelles matrices idéologiques, le discours sur l’identité nationale est censé combler l’absence d’incarnation, de mémoire collective, de projets et de récits communs, sur fond de « révolution conservatrice » et de droitisation des esprits. A défaut de savoir conjuguer l’identité une et multiple, la République s’arc-boute sur une identité nationale dont la représentation n’a rien à voir avec la conception constructiviste et interactionniste (aujourd’hui majoritaire dans les sciences sociales) de l’idée même d’identité, faisant d’elle un construit plus qu’un donné, un produit social et historique.
Notion à forte charge symbolique, l’ « identité nationale » s’est imposée comme norme de référence de l’ordre social, politique et juridique de la République. Et ce, en dépit des approximations qui continuent de caractériser sa substance comme sa délimitation. Il n’existe pas de définition objective ou scientifique de l’« identité nationale » ou de l’« identité française » .
Sa représentation renvoie aujourd’hui à un noyau dur hérité d’un temps ancien, irréductible, non négociable, permanent et stable. Cette construction discursive a imprégné la conscience collective. La diffusion de ce discours dominant sur l’identité nationale atteste la victoire idéologique et culturelle des courants de pensée réactionnaires issus de l’extrême-droite. Il s’agit là de l’expression d’un néo-nationalisme.
L’Histoire de France ne saurait se résumer aux pages noires de son histoire coloniale, dont les lignes et les images heurtent les valeurs fondamentales de l’idée républicaine. C’est du reste au nom de ces valeurs universelles que les peuples colonisés ont appelé à leur émancipation. Instruire un quelconque procès historico-moral et entretenir une quelconque culpabilité n’a pas de sens.
Reconnaissance (de faits) et devoir d’histoire ne signifient pas repentance. Seule la connaissance historique vaut contre le déni et l’oubli. Elle seule permettrait de déconstruire le discours sur l’identité française tout en soulignant l’incongruité de toute analogie générale et systématique : la République de ce début de XXIᵉ siècle ne consacre ni statut d’indigène, ni régime légal d’« apartheid » ; elle n’adhère pas aux théories racialistes, au contraire, elle les condamne formellement, pénalement.
Toutefois, l’analyse du présent et la connaissance du passé mettent en lumière le poids du refoulé colonial. Le cordon ombilical qui relie la République coloniale à la République contemporaine n’est pas définitivement coupé. La période coloniale perdure dans les imaginaires et représentations politiques et sociales de notre temps. Le syndrome colonial français semble comme « ‘ré-importé’ à l’intérieur des frontières nationales de la citoyenneté par la sédentarisation des populations immigrées originaires des anciennes colonies » (Cécile Laborde).
Cet inconscient colonial participe à l’élaboration d’une identité nationale étriquée, émaillée de vides ou trous de mémoires, une identité qui continue de porter un regard plein de préjugés sur les descendants d’anciens territoires (perdus) de la République, des individus et citoyens encore identifiés comme (enfants d’)immigrés – condamnés qu’ils sont à une perpétuelle réassignation identitaire et à une injonction d’intégration bien que nationaux depuis deux ou trois générations. La catégorie des « Français d’origine » est au cœur d’une République saisie par la question identitaire.
Malgré ces diverses entorses à la conception républicaine de la nation et les multiples déclarations antisémites et racistes de son leader historique, le discours du Front national s’est à la fois banalisé et diffusé au sein du corps social et politique. L’ancrage est réel et la dynamique est toujours en marche. Reste qu’au-delà de la force motrice que représente le Front national dans l’identitarisation du champ politique, Nicolas Sarkozy – président de la République et chef de l’Etat – porte une lourde responsabilité historique dans la réhabilitation de la thématique de l’identité nationale. Il incarne un tournant décisif dans l’avènement politique, institutionnel et idéologique d’une République identitaire conçue en réaction à la visibilité d’une identité (minoritaire) perçue comme exogène.
La logique qui anime la volonté de construire une identité nationale contre une autre identité, minoritaire et menaçante, n’est pas sans lien avec l’esprit qui prévalait chez Renan lorsqu’il a conçu l’idée de nation « à la française », en vue de mieux l’opposer à la conception allemande de l’identité.
Aujourd’hui, même si la menace pour l’identité nationale vient de l’intérieur, il convient aussi de se protéger contre l’extérieur. Le dispositif de défense conjugue ici identité et souveraineté. Tel est le sens profond de l’avènement d’une « République identitaire »* en France.
Béligh Nabli, La République identitaire, préface de Michel Wierviorka, Paris, éd. Le Cerf, 2016.