Soucieux de répondre aux besoins de financements des infrastructures publiques et permettre ainsi le développement de l’économie tunisienne, l’Etat est confronté à des ressources publiques limitées.
Pourtant, des stratégies de mobilisation de capitaux privés auraient pu être mises en place pour pallier cette difficulté, qu’il s’agisse de financer la construction, l’entretien ou l’exploitation d’infrastructures dans le domaine de l’énergie, des réseaux de télécommunications, du transport ou de l’assainissement.
Deux stratégies sont particulièrement prometteuses à cet égard : soit par le recours au marché pour financer des projets d’infrastructure publique, adossés à des contrats de partenariat public-privé ou de concession, soit en privatisant, partiellement ou totalement, certaines entreprises publiques, en procédant à leur introduction en Bourse.
Le recours au marché financier permet notamment d’attirer des investissements étrangers au service du développement de la croissance tunisienne. Une simplification du cadre juridique et réglementaire applicable à la levée de fonds s’inscrirait utilement dans ce mouvement d’attraction de capitaux étrangers.
Si le recours au marché financier permet de lever des fonds très importants, il apparaît cependant plus opportun de s’orienter vers des émissions de taille plus réduite mais plus fréquentes, en lien direct avec un projet d’infrastructure préalablement identifié. Ainsi, cela donne au marché financier le gage que les fonds levés seront uniquement investis dans l’infrastructure en question. En conséquence, l’un des atouts de la formule d’émission régulière de tels « project bonds » est de permettre une plus grande transparence de la destination des fonds levés.
Le mécanisme sous-jacent des «project bonds» est de permettre à l’Etat d’émettre des obligations spécifiques afin de lever des fonds sur le marché des capitaux pour financer un projet d’infrastructure. En identifiant un projet en amont, les investisseurs et les gestionnaires de fonds peuvent évaluer sa bancabilité et être rassurés sur la pertinence d’un tel investissement au regard de leur aversion au risque plus ou moins prononcée.
Les fonds levés permettent alors la réalisation du projet d’infrastructure dans le cadre d’un montage contractuel avec un groupement d’opérateurs privés. Il peut s’agir d’un contrat de partenariat public-privé, dans le cadre de la nouvelle loi n° 2015-49 du 27 novembre 2015 relative aux contrats en PPP, ou d’un contrat de concession, si le projet est en capacité de générer des recettes supérieures aux coûts d’exploitation. A ce titre, la plus grande stabilité juridique est requise, tant s’agissant du contenu du contrat que du cadre normatif applicable au projet d’infrastructure. Ainsi, en cas de montage juridique prenant la forme d’un contrat de partenariat public-privé, il s’agira notamment des clauses relatives à la rémunération versée par la personne publique au partenaire privé pendant toute la durée du contrat.
Des projets d’infrastructure rentables, correspondant à des recettes régulières et de niveau élevé peuvent ainsi s’avérer particulièrement attractifs pour des investisseurs, qu’ils soient tunisiens ou internationaux. En particulier, les investisseurs institutionnels seront sensibles au caractère relativement stable et solide des investissements dans les projets d’infrastructure. Le rendement des « projects bonds » peut être suffisamment attractif pour convaincre les investisseurs et les gestionnaires de fonds. De tels mécanismes de financement par l’émission de « project bonds » ont par exemple été mis en œuvre pour financer des projets d’infrastructure en Afrique du Sud, au Kenya ou au Tchad.
La viabilité à long terme du projet, les modalités d’exploitation du projet ainsi que sa capacité à générer des recettes, le cas échéant, seront autant d’éléments permettant de sécuriser la levée de fonds par l’émission d’obligations relatives au projet d’infrastructure.
C’est ainsi dans l’intérêt de l’Etat de se saisir de cette opportunité afin de lever des fonds pour couvrir ses besoins financiers et créer les conditions d’une croissance durable dans le pays.
Cependant, il convient de souligner que certaines étapes de l’émission de « project bonds » nécessitent une vigilance accrue de l’Etat. En effet, dans le cas où le projet serait ensuite réalisé par le recours à un contrat de partenariat public-privé, l’articulation entre la procédure de passation du contrat et l’émission des « project bonds » en lien avec le projet constitue un facteur clé de la réussite du projet. L’accompagnement de la personne publique par un conseil juridique expérimenté permet de réduire les risques liés à la conciliation de ces deux procédures.
Dans ce contexte, un dernier élément jouant un rôle déterminant dans la réussite du développement de l’émission de «project bonds» de façon régulière, par exemple au rythme de six projets annuels, est l’existence d’un marché financier suffisamment développé. En particulier, les volumes traités doivent être à une échelle suffisante, avec une demande et une offre d’obligations s’inscrivant dans cette échelle. La structure du marché doit pouvoir répondre au mécanisme des « project bonds ».
Si le recours aux « project bonds » peut s’avérer risqué lorsqu’une telle levée de fonds est mal préparée ou mal encadrée, un tel risque peut être circonscrit par la mise en place de bonnes pratiques. En particulier, il relève de la crédibilité de l’Etat de garantir que les fonds levés par l’émission des obligations seront bien fléchés vers la réalisation du projet d’infrastructure préalablement identifié et d’assurer la traçabilité d’une telle allocation. Cela sera d’autant plus difficile dans le cas où le projet d’infrastructure ne générerait pas de recettes.
De surcroît, en sus du recours à l’émission de «project bonds», d’autres mécanismes faisant appel au marché financier peuvent dynamiser l’économie tunisienne. Ainsi, l’ouverture du capital d’entreprises publiques solides et en croissance à des investisseurs privés peut constituer un levier supplémentaire de développement économique venant judicieusement compléter le recours aux « project bonds ». L’introduction en Bourse, totale ou partielle, d’entreprises publiques, permettra d’alléger les contraintes budgétaires pesant sur l’Etat tout en améliorant leur rentabilité et favorisant leur développement par le recours à l’expertise du secteur privé, en particulier dans les secteurs concurrentiels.
Au regard de ces deux stratégies complémentaires, l’Etat peut jouer un rôle déterminant afin d’atteindre l’objectif de parvenir à ce que 20% du financement de l’économie tunisienne proviennent du marché, contre 10% actuellement.