Quel bilan peut-on dresser aujourd’hui de notre modèle économique? La Tunisie devrait plus que jamais accomplir des objectifs liés au développement socioéconomique. Elle devrait s’orienter vers la croissance, la création d’emplois et la mise en place des réformes. C’est dans ce cadre que l’Amicale des anciens parlementaires tunisiens a organisé mercredi 7 décembre une table ronde qui a réuni un aéropage d’experts.
L’analyse économique des deux dernières décennies a montré que les exportations de services sont passées de 72 millions de dinars auparavant à 31 milliards de dinars actuellement. En seulement deux décennies, la Tunisie est passée d’un pays d’exportations primaires ( agricultures, minerais, énergie) à un pays d’exportations industrielles. Mais ce n’est qu’ à partir des années 90, en particulier 1995, que le pays a connu de grands changements, à savoir les exportations manufacturières qui ont surpassé toutes les autres exportations. Vers la fin des années 90, un secteur comme les IME (industries mécaniques et électriques) est resté à la traîne : on exportait 300 millions de dinars d’IME contre 11 milliards en 2015). En l’espace de 20 ans, ce secteur est passé de presque zéro à 8 milliards d’exportations. Idem pour le textile, lui aussi a évolué (En 1980, les exportations de textile se chiffraient à 170 millions de dinars. 30 ans après, elles ont atteint 6 milliards de dinars).
A l’ouverture des travaux de la table ronde, Afif Chelbi, ancien membre du Cercle Kheireddine, a mis l’accent sur les réalisations des exportations, mais aussi sur les lacunes. « Alors que le taux de pauvreté a été divisé par deux pendant ces deux décennies, affirme M. Afif Chelbi, lors de son intervention, le développement régional ainsi que le niveau de vie se sont améliorés et l’économie tunisienne s’est diversifiée et a connu de profonds changements structurels ».
A la question existentielle, quelles étaient nos relations avec l’UE sur le plan des exportations ? M. Chelbi précise que jusqu’à 2012 inclu, les exportations tunisiennes vers l’UE étaient supérieures à celles du Maroc en valeur absolu. Plus précisément, la Tunisie exportait 8.8 milliards d’euros et le Maroc 8.4, selon les dernières statistiques d’Eurostat .
Par ailleurs, les secteurs des technologies, comme l’aéronautique, l’électronique et l’automobile sont passés de 12% en 1995, à 25% en 2000. Quant à l’investissement, la Tunisie a réalisé des investissements importants à un taux de 25% par rapport au PIB.
Qu’en est-il de l’emploi et du chômage?
Selon M. Chelbi, la Tunisie a créé depuis ces dernières décennies 2.4 millions d’emplois à un rythme annuel variant entre 11 mille et 72 mille nouveaux emplois par an, alors qu’aujourd’hui, ne sont créés que 35 mille emplois par an. Cela dit, le taux de chômage annuel est resté inchangé à ce jour, soit 15%.
Il est intéressant de noter également que la PGF (productivité globale des facteurs) qui mesure l’évolution de la productivité avait connu une hausse jusqu’en 1995, voire au-dessus de la moyenne par rapport à la Chine. Quant au classement, la Tunisie était classée 32 ème, devançant même l’Italie. Mais c’est apparemment de l’histoire ancienne vu qu’aux dernières nouvelles, d’après le rapport de Davos, la Tunisie a reculé de 60 points pour se classer à la … 92ème place !
Comment peut-on expliquer ce recul ?
L’analyse avancée par M. Chelbi met en évidence tout d’abord des failles de gouvernance et de transparence qui constituent le plafond de verre, mais bien plus grave, il s’agit en fait d’un blocage idéologique sur le rôle de l’Etat et du secteur privé.
“ C’est l’élément clé qui explique aujourd’hui que nous n’avons pas fait 8% de croissance. Ce blocage, je l’explique par le traumatisme des années 60, suivi du traumatisme du plan d’ajustement”, souligne-t-il, en comparant le cas de l’Allemagne qui vit jusqu’à aujourd’hui par la hantise de l’inflation.
Il ajoute: “ Le traumatisme des années 60 ainsi que la crise des années 86 ont marqué tous les responsables politiques, qui n’ont pas mis en oeuvre un nouveau modèle de développement dans tous les domaines qu’ils soient. Il aurait fallu des actions publiques”.
La solution réside dans la construction des îlots dynamiques, améliorer le niveau de vie, réduire la pauvreté, créer des pôles d’attractivité dans les régions pour qu’elles soient au même niveau de la côte.
Mais il a noté que le problème des déséquilibres n’est pas propre à la Tunisie et que tous les pays connaissent à des degrés variables ce genre de déséquilibre, comme l’annonce le rapport de la Banque Mondiale. Il n’y a pas un pays au monde qui connaît un développement économique égalitaire entre les régions. Alors que tous les pays engagent des actions volontaristes pour réduire ce déséquilibre. Autrement dit, l’histoire de la disparité régionale ne peut pas disparaître par les seules lois du marché. Mais pour le cas de la Tunisie, il va falloir donner des actions ciblées, notamment dans les infrastructures et offrir aux entreprises qui veulent investir dans les régions un climat adéquat.
Un des intervenants a fait savoir que s’il n’y avait pas de compétences, une administration forte et des cadres bien formés, on n’aurait pas atteint un taux de croissance aussi élevé comme celui qu’a connu le pays en 2010. Il estime toutefois que l’Etat aurait pu mieux faire alors qu’il avait les moyens et la capacité de financement.
Par ailleurs, un autre intervenant a souligné que le problème d’aujourd’hui, c’est le retard accumulé durant les cinq dernières années. Ce qui nous a amené là où nous sommes aujourd’hui”, indique-t-il, en poursuivant : « Les crises ( 1961 et 1986) qu’a connues la Tunisie ont induit à des réformes, qui sont encore à l’ordre du jour comme le Code de la fiscalité qui remonte à 1988 et qui aurait besoin d’une refonte en profondeur, le Code des contrats et obligations ( 1993), le Code de l’investissement … L’on se demande pourquoi faut-il une crise pour procéder à des réformes importantes dans ce pays ? ».
Alors qu’un autre intervenant a conclu : “ En 2010, il y avait des ressources disponibles, en tout 5 milliards de dinars, soit 2.5 milliards de dinars provenant de la privatisation de Tunisie Telecom, 1 milliard de dinars de la Banque centrale, et 1.5 provenant des entreprises publiques”.