Avec la chute d’Alep, la tragédie sanglante syrienne qui dure depuis près de six ans n’est pas terminée, mais elle est sur le point de se conclure. Elle va se conclure par la déroute de Daech, d’Annusra et consorts.
Elle va se conclure dans la honte et le ridicule, dont se sont couverts les dirigeants du Golfe, de Turquie, de Grande Bretagne, de France, sans oublier le sponsor en chef, les Etats- Unis d’Amérique, pour avoir parié sur le terrorisme pour détruire le régime syrien avec, en guise de feuille de vigne, un principe éculé et usé jusqu’à la corde, le droit-de-l’hommisme à géométrie variable. A Mossoul et à Alep, l’étau se resserre de plus en plus autour des terroristes abandonnés par leurs sponsors.
Pour ceux qui n’ont pas réussi à fuir, ils n’ont guère le choix qu’entre la reddition et la mort. Il va sans dire que les armées syrienne et irakienne ne vont pas pouvoir tuer tous les terroristes étrangers qui ont afflué dans leurs pays. Des centaines, peut-être des milliers, vont pouvoir passer par les mailles du filet et se débrouiller pour revenir chez eux.
Beaucoup de pays se préparent à cette sombre perspective, dont la Tunisie bien sûr, détentrice du privilège douteux de « premier exportateur de terroristes dans le monde ». Inutile de spéculer sur le nombre de survivants parmi les terroristes tunisiens qui parviendront à regagner le pays. Bien sûr, ils ne vont pas revenir par des vols charters, la plupart d’entre eux chercheront à rejoindre très probablement la Libye dans un premier temps, et tenteront de franchir clandestinement la frontière, dans un deuxième temps.
Une chose est certaine, les autorités sécuritaires et politiques auront à gérer l’arrivée de centaines, peut-être de milliers de terroristes aguerris, de criminels qui ont massacré des Irakiens et des Syriens qu’ils ne connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, de coupeurs de têtes qui ont décapité des innocents et de violeurs qui ont détruit la vie d’une multitude de jeunes filles.
L’affirmation du président de la République, selon laquelle les terroristes tunisiens ne seront pas jetés en prison parce que « nos prisons sont surchargées », est pour le moins étonnante. Elle semble faire écho à l’idée qui, depuis un certain temps, fait son chemin et qui consiste à résoudre le problème par « une loi sur le repentir ». Mais une chose est certaine : sur cette question épineuse, comme sur bien d’autres d’ailleurs, le président de la République et le président d’Ennahdha sont sur la même longueur d’onde et travaillent ensemble dans une parfaite harmonie.
Comment penser autrement quand celui-ci ne cache pas son intention de faire bénéficier les terroristes du concept religieux de la « Tawba » et que celui-là déclare clairement qu’ils ne seront pas emprisonnés ? Comment penser autrement quand, ni l’un ni l’autre, n’évoquent même pas implicitement ou par simple allusion, la responsabilité criminelle de ceux qui, dans les mosquées et les cercles d’endoctrinement religieux, ont incité des milliers de jeunes à partir pour « le jihad » ?
Certes, face aux larges protestations des Tunisiens exprimées dans la presse et les réseaux sociaux, le président de la République a fait machine arrière en confiant à un site d’information tunisien le contraire de ce qu’il a affirmé aux médias étrangers. Mais cela ne fait qu’ajouter à la confusion et nourrir encore plus d’inquiétude quant à l’indécision qui règne au sommet de l’Etat.
Le problème est que ceux dont il est question ici ne sont pas accusés de vol à l’étalage, mais de crimes extrêmement graves commis contre l’Irak, la Syrie et la Libye et contre les Irakiens, les Syriens et les Libyens.
Pire encore, ces milliers de jeunes envoyés au « jihad » à 5000 kilomètres de chez eux sont partis avec l’idée de remplir « une mission divine » auprès des Syriens et des Irakiens avant de revenir, dès que les conditions le permettent, accomplir la même mission auprès de leurs concitoyens, à coups d’attentats-suicides à la voiture piégée et de décapitations.
On ne traite pas le problème posé par de si dangereux criminels en tentant de noyer le poisson à coups de discours sur le repentir, la « Tawba », ou les prisons surchargées. On le traite en pensant aux crimes commis par leurs alter ego contre la patrie, contre les soldats, les forces de police, les citoyens tunisiens et contre des touristes étrangers. On le traite en pensant aux massacres du Bardo du 18 avril 2015 et du Port El Kantaoui du 26 juin de la même année. On le traite en imaginant ce que serait devenue la Tunisie si, par malheur, ces terroristes avaient réussi à occuper Ben Guerdane le 7 mars 2016 et en faire un « émirat » daéchien, comme ils l’ont planifié.
On le traite en pensant enfin et surtout à la décennie noire de l’Algérie des années 1990 et aux tragédies indescriptibles provoquées par les terroristes du GIA (groupe islamique armé) après leur retour d’Afghanistan.
Sans doute, on ne demande pas que ces terroristes tunisiens soient alignés devant un peloton d’exécution.
Cela dit, les autorités tunisiennes ne peuvent se permettre aucune forme de laxisme. Les intérêts vitaux du pays exigent des autorités politiques, judiciaires et sécuritaires, le recours à certaines procédures.
La première procédure a trait à la collecte d’informations.
En effet, les terroristes ayant servi des années dans les rangs de Daech ou d’Annusra sont une mine d’informations sur ces deux organisations, leurs ramifications et leurs « projets » en Tunisie. Toute information collectée à ce niveau est d’une importance capitale pour la sécurité du pays dans la guerre que le terrorisme lui a imposée, d’où la nécessité de soumettre tout terroriste arrêté à son retour à un interrogatoire en règle, bien évidemment dans le respect de la loi.
La deuxième procédure est d’ordre judiciaire. Ces terroristes ayant commis des atrocités innommables contre des innocents, le principe le plus élémentaire de la justice est qu’ils soient jugés et condamnés en fonction du ou des crimes commis par chacun.
Aucune loi, qu’elle soit céleste ou humaine, ne permet à un massacreur d’innocents de s’en sortir avec une simple excuse et la promesse qu’il ne commettra plus jamais d’actes terroristes.
A ce niveau, il faut rappeler qu’il y a des précédents aussi inquiétants que dangereux. Le cas de Tarek Maaroufi est particulièrement révélateur. Voici un terroriste d’envergure internationale, impliqué dans l’assassinat du commandant afghan Ahmad Shah Massoud le 9 septembre 2001, responsable du recrutement de dizaines ou de centaines de terroristes et de Dieu sait quels autres complots et crimes, et malgré cela, cet ex-pilier du terrorisme mondial, mène une vie normale comme n’importe quel citoyen honnête. Il se permet même d’assister à des débats à la télévision et de parler de son passé, tout en jurant ses grands dieux qu’il n’est plus terroriste et qu’il s’emploie même à aider la Tunisie dans sa lutte contre le fléau au développement duquel il a largement contribué…
La troisième procédure a trait aux personnes et aux organisations qui ont recruté, financé et envoyé des milliers de jeunes dans les foyers de tension, sous prétexte de combattre des régimes impies et ses soutiens infidèles. Cette procédure est à la fois très facile et très difficile à mettre en oeuvre. Très facile, compte tenu des informations qu’auront livrées les terroristes sur l’identité des personnes et des organisations responsables du recrutement et du financement. Mais très difficile aussi, car ces recruteurs et ces financiers sont jusqu’à ce jour protégés par des personnalités et des instances très influentes sur la scène politique.
Pourtant, la sécurité du pays et sa capacité à éradiquer le phénomène terroriste ne nécessitent pas seulement la neutralisation des « brebis égarées » dès leur retour au pays, mais aussi le démantèlement de toutes les filières de recrutement et de financement qui, depuis 2012 au moins, fonctionnent comme des machines infernales de « production » de terroristes.
Pour cela, il nous faut un Etat fort, capable de s’opposer à certaines forces politiques qui, contre vents et marées et au mépris des intérêts vitaux du pays, s’obstinent toujours à vouloir faire passer leur agenda politico-religieux.