C’était il y a six ans déjà. Au terme d’un soulèvement populaire qui a gagné le pays en moins d’un mois, le président Zine El-Abidine Ben Ali a fini par quitter le pays, vendredi 14 janvier 2011. C’était la fin de vingt-trois ans d’un règne sans partage, si ce n’est avec son clan et celui de sa femme Leila Trabelsi. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Si certains civils et hommes politiques expriment leur désir de pardonner Ben Ali, son retour en grâce demeure exclu. Face aux défis sociaux et sécuritaires, l’option d’une Tunisie autoritaire, avec un pouvoir replié sur lui-même et qui contrôlerait la justice et les contre-pouvoirs (presse, ONG), est une option présente dans l’esprit de certains acteurs. Reste que la société civile a déjà fait montre de sa capacité à jouer son rôle démocratique de contre-pouvoir. De plus, la Tunisie dépend de l’aide internationale et celle-ci, l’aide européenne en particulier, est conditionnée à la poursuite de la transition démocratique. Une dérive autoritariste représente donc plus un risque qu’une opportunité pour un pouvoir quel qu’il soit…
Le changement de régime est acté. Un retour en arrière impensable, ou presque. Le nouvel ordre constitutionnel et politique est réel. Le désenchantement démocratique, économique et social aussi…
Malgré des élections législatives et présidentielles démocratiques, la situation politique instille une impression de confusion au sein de la coalition gouvernementale comme au sein du parti majoritaire Nidaa tounes. Les défaites électorales d’Ennahda n’ont permis ni de l’exclure du jeu politique, ni de clarifier son échiquier. Loin s’en faut… Cette confusion quasi générale freine l’action des gouvernements successifs.
Sur le plan socioéconomique, le pays est pris dans un cercle vicieux dont il a peine à en sortir. Non seulement les causes de la Révolution demeurent d’actualité, mais aux inégalités sociales et territoriales s’ajoutent désormais une instabilité d’ordre sécuritaire. Une partie de la population, tout particulièrement la jeunesse, diplômée ou non diplômée, de l’intérieur des territoires et des quartiers populaires des grandes villes, demeure animée par un sentiment de désespoir, d’absence d’avenir. Sauf que ces maux ont pris une dimension nouvelle du fait de l’instabilité provoquée par la révolution puis les attaques terroristes ; et de la frustration créée par la déception post-révolutionnaire. Celle-ci nourrit le choix de la migration clandestine ou l’engagement dans un processus de radicalisation « religieuse » (qui a pu naître avant même la révolution).
Cinq ans après la révolution, la Tunisie n’a toujours pas apporté de réponse stratégique et structurelle aux véritables racines de l’instabilité du pays. Les crises sociales chroniques qui rythment le territoire du centre de la Tunisie, notamment dans la région de Kasserine et Sidi Bouzid. Ces berceaux de la révolution sont régulièrement l’objet de soulèvements de la part de leurs populations. Certains groupuscules djihadistes parviennent à exploiter cette frustration et tentent de s’ancrer sur ces territoires historiquement abandonnés par l’Etat.
La question est aujourd’hui de savoir si l’aide internationale exceptionnelle – actée lors de la récente conférence pour l’investissement « Tunisie 2020 » – sera effective (responsabilité des donateurs) et efficace (responsabilité des gouvernants tunisiens).
Optimiste, le rapport sur les « Perspectives de l’économie mondiale » publié ces derniers jours par la Banque mondiale, prévoit que la Tunisie devrait enregistrer un taux de croissance de 3% en 2017, 3,7 % en 2018 et 4% en 2019… Reste à voir comment l’aide va se matérialiser et ce qu’en fera l’Etat tunisien. Cette levée de fonds exceptionnelle pourrait constituer une sorte de « Plan Marshall » et marquer un tournant dans la transition en Tunisie.
La bonne gouvernance de l’Etat – y compris en matière de lutte contre la corruption – va être mis à l’épreuve. C’est aussi à cette aune que devra se mesurer la transition démocratique.