C’est un pèlerinage qui se fait chaque année à la même saison. Un pèlerinage bien particulier où les pèlerins, dans un rituel quasi religieux, vont rendre hommage et se prosterner devant leur Dieu, un Dieu bien particulier lui aussi, le Dieu-argent. C’est à Davos, et c’est du 17 au 20 Janvier que se réunissent quelque 2000 personnes pour faire des affaires et, si le temps le permet, penser un peu au sort de l’humanité.
Chaque année, comme l’exige le rituel, les pèlerins de Davos choisissent un sujet sur lequel ils se penchent, histoire de bavarder entre élites mondiales, et surtout de rassurer les pauvres et autres damnés de la terre qu’ils ne doivent surtout pas se faire du souci : on pense beaucoup à eux et pour eux à Davos.
Parfois, le même sujet revient. Non pas par manque d’imagination, mais parce que l’importance du thème l’exige. Comme l’année dernière, le thème de « la quatrième révolution » est encore à l’honneur.
Dans le site Web officiel du Forum économique mondial on lit ceci : « Nous sommes à la veille d’une révolution technologique qui va profondément modifier la manière dont nous vivons le travail et dont nous interagissons les uns par rapport aux autres. Par son ampleur, par sa portée et par sa complexité, cette transformation sera différente de tout ce que l’humanité a vécu auparavant. »
La question qui se pose ici est de quelle humanité parle-t-on à Davos ? Un jour avant l’ouverture du Forum, l’organisation humanitaire Oxfam a publié un rapport avec des chiffres qui font froid dans le dos et qui montrent combien ces riches pèlerins sont si déconnectés qu’ils donnent l’impression qu’ils vivent sur une autre planète.
D’après Oxfam, « en 2015, les 1% les plus riches du monde possèdent plus de richesses que les 99% des habitants de cette planète combinés. Cette concentration de la richesse entrave le combat mené dans le but de mettre fin à la pauvreté globale »…
Pour l’année qui vient de s’écouler, les chiffres sont encore plus consternants. Oxfam nous informe, noms et montant des fortunes à l’appui, que les huit personnes les plus riches du monde possèdent plus d’argent que ne possèdent les 3,6 milliards de personnes les plus pauvres de cette planète.
Bill Gates (75 milliards de dollars), Amancio Ortega (67 milliards de dollars), Warren Buffet (60,8 milliards de dollars), Carlos Slim (50 milliards de dollars), Jeff Bezos (45,2 milliards de dollars), Mark Zuckerberg (44,6 milliards de dollars), Larry Ellison (43, 6 milliards de dollars), Michael Bloomberg (40 milliards de dollars).
Tel est le monde futile dans lequel nous vivons. Six Américains, un Espagnol et un Mexicain possèdent à eux seuls 426,2 milliards de dollars, c’est-à-dire bien plus que ne possèdent 3, 6 milliards de personnes, soit plus de la moitié de l’humanité…
Après des milliers d’années d’efforts multiformes accomplis par les hommes pour rendre cette planète habitable et la vie sur terre un peu digne, voilà où nous en sommes aujourd’hui : huit personnes qui, en termes d’argent, valent plus que 3,6 milliards de leurs semblables, un terrorisme planétaire, des guerres interminables et, chaque hiver, quelque 2000 personnes triées sur le volet parmi les élites du monde se réunissent à Davos pour réciter leurs prières et rendre un culte au Dieu-argent.
Que faire face à tant d’absurdités ? Que dire face à tant de futilités ? Répéter peut-être avec Shakespeare que « la vie est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien ».