Malgré tout ce qu’on a pu dire sur l’économie du pays, sur l’état de ses finances, sur les projets de développement des régions non aboutis, sur l’extrême dénuement des pauvres parmi les pauvres et sur leur isolement…, rien n’est encore fichu.
Que dans ce contexte, le Président de la République, venu prendre le pouls de populations du Sud au bord de l’explosion, en prenne pour son grade, je ne suis pas surpris même si dans le camp présidentiel, on a vite fait de crier à la manipulation, ce qui n’est pas tout à fait faux.
Dur, dur de ne pas respecter ses engagements. D’ailleurs, je pense que le chef de l’Etat devrait méditer l’épisode qui suit, même si on trouvera que le rapport n’est pas évident : on raconte qu’au cours du mois qui a précédé l’invasion de l’Irak, le secrétaire d’Etat Colin Powell aurait prévenu le président Bush junior des conséquences néfastes d’une éventuelle occupation de ce pays en lui lançant sous forme de boutade : « Break it, you own it », ce qui veut dire, vous brisez l’Irak, et vous aurez à assumer les conséquences de votre décision.
En détournant cette boutade, cela donnerait pour le Président Essebsi ceci : M. le Président, vous avez fait le choix de sceller un pacte avec le chef d’une formation qui prône ouvertement l’avènement d’un califat en Tunisie, assumez maintenant les conséquences de ce choix. Que par un souci de vérité et d’image, le chef de l’Etat insiste pour dire que la Tunisie n’est pas ce vivier du terrorisme comme veulent le prétendre certains médias étrangers et que la Tunisie est un pays sûr, il a raison ; mais le pays est-il pour autant aussi sûr ?
La ministre du Tourisme, Selma Elloumi, déclare à propos des prévisions pour 2020, que l’objectif est d’accueillir en 2017 dix millions de touristes si et seulement si il n’y a aucun problème sécuritaire. Il y a donc un si au retour de la confiance en la destination Tunisie. Et là où les choses se gâtent, c’est quand les médias sortent cette troublante affaire Mohamed Frikha, ancien PDG de Syphax Airlines et député d’Ennahdha à l’ARP où il est question de transport de jeunes Tunisiens jusqu’en Syrie et en Irak via la Turquie pour aller combattre dans les rangs de Daech.
Que cela soit vrai ou faux, le mal est fait pour une image en quête de réhabilitation. Quand en plus, on apprend chaque jour que tel réseau terroriste a été démantelé et que les terroristes qui sont arrêtés sont parfois libérés faute de preuves suffisantes et que l’on découvre qu’il existe des collusions clairement établies entre sécuritaires et extrémistes takfiristes, je me mets à la place du touriste ou de l’investisseur et je me dis : Est-ce que cela vaut bien le coup ?
Généralement, et à chaque fois que des médias étrangers s’en prennent au pays à tort ou à raison, le coupable est tout désigné : ce sera le ministère des Affaires étrangères, comme si les diplomates tunisiens devaient prendre sur eux la détérioration d’une image faussée dès le départ tant il est vrai que l’image que l’on veut donner ne peut en fin de compte être que le reflet fidèle des contradictions qui traversent le pays depuis la révolution, sauf si on veut tomber dans les travers de l’ancien régime qui enjolivait la réalité à tour de bras.
Je trouve finalement que tout n’est pas perdu, et l’ébullition que connaît le Sud du pays est la preuve éclatante que la conscience politique chez les Tunisiens n’a rien perdu de sa vitalité, même si au passage, on peut déplorer tous les débordements que l’on a vus.
Pour conclure, je dirais que de toutes les menaces qui guettent ce pays, la pire, c’est bien cette perte de confiance des Tunisiens en eux-mêmes, en leur Etat, et en ses institutions ; et qu’ils se le disent : soit, ils amorcent un sursaut, le vrai (Qu’au même titre que l’Etat, chaque Tunisien se considère lui-même en état d’urgence) soit, ils persistent dans l’égoïsme étroit et l’aveuglement, et la descente aux enfers va continuer pour tout le monde. Auront-ils les ressources nécessaires pour faire le bon choix et surtout, y aura-t-il dans la salle, un sage pour sonner le réveil ?